Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,
Frères et sœurs,
L’évangile de ce matin nous concerne ! L’événement se situe tout au début du ministère de Jésus en Galilée, au bord du Lac de Génésareth. Après son baptême et les tentations dans le désert de Judée, Jésus s’était rendu d’abord dans son village natal, Nazareth. Il y avait proclamé clairement qu’il était venu pour les pauvres, les prisonniers, les aveugles et les opprimés ; pour guérir, libérer et consoler. À Capharnaüm il opère ensuite des guérisons, dans une synagogue et dans la maison de Simon-Pierre. Les gens sont impressionnés par la force de sa parole. Jésus ne parlait pas comme nous, mais avec autorité et puissance. Sa parole venait, en quelque sorte, « d’ailleurs ». Elle ne tombait pas dans le vide, mais elle agissait sur les corps et dans les cœurs. Elle était, nous dit saint Luc, « la parole de Dieu » (Lc 5,1), une parole « qui parle, et cela est », comme celle du Créateur.
Ce matin nous retrouvons Jésus pour la première fois en plein air. Beaucoup de gens sont venus pour l’écouter, ils le pressent au bord du Lac. Jésus monte dans la barque de Simon-Pierre, à quelque distance du rivage, pour leur parler. Et quand il a fini, il dit à Pierre ces mots inattendus, mais qui nous concernent tous : « Avance en eau profonde, et lâchez vos filets pour la pêche ». Pierre a travaillé toute la nuit pour rien. Il vient de laver ses filets et a attendu, sans doute, la fin du discours de Jésus pour aller se reposer. Et voilà un ordre bien déraisonnable, insensé : car on pêche la nuit et non en plein jour. Jésus vient d’un village loin du Lac et n’y connaît rien !
Mais Pierre a aussi compris la force de la parole de Jésus, et il dit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre, mais sur ta parole, je vais lâcher les filets ». Il fait confiance.
Le résultat est au-delà de toute attente, aussi inattendu que l’ordre semblait insensé. Les filets des hommes se déchirent. On remplit deux bateaux jusqu’au bord. Pierre est bouleversé : ici, c’est Dieu qui est à l’œuvre, il n’y a pas d’autre explication. Pierre tombe à genoux devant Jésus et dit : « Seigneur, sors d’auprès de moi, parce que je suis un homme pécheur ! ».
Nous savons tous que nous sommes pécheurs. Personne ne le niera, en général. Mais il y a des moments dans la vie où nous le sentons plus particulièrement, où cela nous bouleverse. Et plus Dieu agit en nous et se manifeste à nos yeux, plus nous le sentons, plus cela nous bouleverse. C’est souvent aussi un moment de conversion, de changement radical, d’une illumination : tout d’un coup nous comprenons ce que Dieu veut de nous. Jésus n’a pas essayé de convaincre Pierre par des arguments, il ne lui a pas expliqué pourquoi il fallait retourner à la pêche. Pierre ne l’aurait pas cru.
Pour se révéler à nous et nous appeler à sa mission, Dieu n’essaie pas d’éblouir directement notre intelligence. Il brise d’abord notre cœur. L’intelligence suivra ensuite, peut-être, et en quelque sorte de loin… Comme le disait un auteur spirituel contemporain, à la suite de saint Benoît : « La première lueur que nous apercevons de Dieu est, très paradoxalement, la ténèbre de notre misère. Et le premier degré que nous montons vers la connaissance de Dieu est celui que nous descendons vers l’abîme de notre péché. Il n’y a pas d’autre chemin » (D. André Louf, Seul l’amour suffirait, 1982, p. 121.).
Pierre veut que Jésus s’éloigne de lui, or c’est juste le contraire qui arrive : Jésus l’appelle à une grande mission, une mission au-delà de ses capacités humaines, une mission dont cette pêche d’aujourd’hui n’est que le symbole, un acte prophétique.
C’est cela le mystère de notre réussite, de notre réussite « selon Dieu » : nous devons d’abord avoir fait l’expérience de notre échec. Nous devons avoir peiné, comme Pierre, toute la nuit « pour rien », sans résultat, laver nos filets déchirés « pour rien ». Ensuite nous pouvons faire confiance à Dieu, car nous n’avons plus rien à perdre. Nous ne pouvons plus qu’agir « sur sa parole », c’est à dire : par sa force, par sa puissance, et non par la nôtre. Et quand Dieu se manifeste ainsi en nous et par nous, nous pouvons nous reconnaître pécheur, « vraiment pécheur », c’est à dire : reconnaître d’avoir besoin de son salut.
Pierre, le prince des apôtres, a été appelé parce qu’il était pécheur, parce qu’il se savait pécheur. Pécheur, il l’est resté jusqu’à la fin de l’évangile, jusqu’à son triple reniement au moment de la Passion (« Je ne connais pas cet homme »), et jusqu’à sa triple déclaration d’amour après Pâques (« Seigneur, tu sais que je t’aime »). Mais c’est pour cela que Jésus lui a demandé aussi de paître ses brebis. Jésus n’est pas venu pour les justes, mais pour les pécheurs. Il a besoin de nous, pécheurs, pour nous sauver, il a besoin de nous pour nous donner la vie. Sans nous il ne peut rien pour nous, comme nous, sans Lui, nous ne pouvons rien. Chacun de nous peut donc répéter avec le psalmiste : « J’étais faible (humilié), et tu m’as sauvé » (psaume 114,6). Dire ces paroles, au moment de nous approcher de Lui dans la communion eucharistique, c’est déjà le recevoir dans notre cœur. C’est le recevoir, Lui notre sauveur. Car c’est Lui qui nous sauve, c’est Lui qui nous donne la vie, au-delà de nos forces, au-delà de nos attentes. Amen.