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Dimanche après la théophanie 2024

« Le peuple qui était assis dans les ténèbres a vu une grande lumière, et sur ceux qui
étaient dans la région de l'ombre et de la mort la lumière s'est levée. » Ces paroles de l’évangile
du jour éclairent la mission publique de Jésus, qui commence avec son baptême par Jean, un
baptême qui, pour Lui, n’est pas de pénitence, mais de miséricorde : en s’associant aux pécheurs
par ce geste, Jésus manifeste la raison de sa venue sur terre. Lui qui n’a jamais commis de péché
– c’est-à-dire qui, en tant qu’homme, jamais ne s’est trouvé coupé de la communion avec le Père
céleste – a voulu ainsi nous indiquer le chemin du salut, la conduite qui nous permettra d’être, à
notre tour, en communion avec Dieu. Demander le baptême de Jean, c’était poser un acte
d’humilité, reconnaître ses imperfections, reconnaître son insuffisance et le besoin qu’a tout être
humain du pardon de Dieu. En d’autres termes, c’est traduire en acte la demande du Notre Père
que nous disons sans doute si souvent sans vraiment en peser les mots : Pardonne-nous nos
offenses… Jésus n’avait pas besoin de le faire, mais Il nous indique la voie à suivre.
Cette prise de conscience, c’est la « grande lumière » qui s’est levée pour l’humanité, qui
était « dans l’ombre de la mort ». Non pas seulement de la mort terrestre : celle-là, nous y
sommes et serons toujours soumis, et j’ajoute aussitôt « heureusement », car nous ne sommes pas
destinés à demeurer toujours sur cette terre, à vieillir indéfiniment. Mais la vraie mort, c’est celle
du péché, celle qui consiste à ne plus être capable de donner à sa vie d’autre sens que celui de la
vie terrestre, de la matière périssable et de notre corps mortel. Certes, il y a une grande
satisfaction à gérer des biens, que ces biens soient matériels ou non, comme peuvent l’être la
gloire, la joie de voir grandir ses enfants et petits-enfants, ou même cette assurance, simple,
fondamentale et hélas rarement réalisée, de vivre dans un monde de paix et d’entente mutuelle ;
mais nous savons tous que cette satisfaction ne peut être que transitoire. Suffit-elle à donner sens
à toute notre existence ?
En fait, il me semble que cette satisfaction même requiert l’existence d’un niveau plus
profond. Car si l’on peut accumuler des biens matériels sur le dos des autres, est-il possible d’être
en paix, avec soi-même et avec autrui, si l’on ne cherche pas à faire la vérité en soi ? Certes, il est
toujours possible non seulement de mentir aux autres, mais aussi de se mentir à soi-même, de se
donner bonne conscience en fermant les yeux et en se bouchant les oreilles, mais pendant
combien de temps ? Or, faire la vérité en soi suppose justement la prise de conscience de nos
imperfections et de nos fautes, non pas pour nous fouetter et être en colère contre nous-mêmes,
mais pour réparer autant que possible le mal que nous avons pu faire, que ce soit volontairement
ou par faiblesse.
C’est ce chemin-là que Jean le Baptiste ouvrait par son baptême de pénitence, et c’est ce
chemin-là que Jésus a sanctifié en s’y soumettant sans en avoir Lui-même besoin : admettre
l’existence en nous-mêmes d’imperfections et de fautes, c’est ouvrir la possibilité d’un dialogue
réparateur avec ceux que nous pouvons avoir blessés, volontairement ou non, et c’est aussi –
précisément parce que Jésus nous l’a indiqué – avoir conscience que cette reconnaissance de nos
limites n’est pas un chemin de mort, de condamnation, mais au contraire un chemin de vie et de

résurrection, une montée vers une plus grande liberté par la vérité et par la reconnaissance de
l’amour que Dieu porte à chacun d’entre nous, tout pécheurs que nous soyons, puisque Lui-même
a voulu passer par là pour sanctifier la route de l’aveu, pour nous rassurer et nous annoncer, ainsi
que le conclut l’évangile de ce jour, que le Royaume des cieux est proche. Il est même tellement
proche que, en réalité, le Royaume de Dieu est au milieu de nous (Lc 17,21), et moi je traduirais
même qu’il est à l’intérieur de nous. Car, comme le dit S. Paul, le royaume de Dieu, ce n'est pas
le manger et le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit (Rom 14,17).
Autrement dit en paroles plus modernes : c’est par notre attitude intérieure que nous faisons la
paix à l’intérieur de nous-mêmes, que nous y mettons le Royaume de Dieu ou, pour reprendre les
paroles de Jésus, que Dieu fera en nous sa demeure (cf. Jn 14,23), que nous serons le temple de
Dieu, et que l'Esprit de Dieu habitera en nous (cf. 1 Co 3,16). Et cette attitude intérieure passe
par la reconnaissance de la vérité.
Un dernier mot pour conclure : Jésus a ouvert la voie à toute l’humanité, mais c’est à
chacun de nous de poursuivre sa mission en montrant cette route à nos frères et sœurs humains.
C’est par notre attitude, par notre recherche de la vérité, et par la paix intérieure que Dieu donne à
ceux qui Le cherchent, que nous contribuons à édifier le corps du Christ à faire en sorte que tous
puissent parvenir à l’unité de la foi et à la connaissance du Fils de Dieu (Éph 4,12s), comme S.
Paul nous y a exhortés dans l’épître.