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Dimanche des saints ancêtres 2024

Pour commencer, il convient de mettre au point quelques détails littéraires sur les
lectures que nous venons d’entendre. (a) D’abord, l’expression « beaucoup sont appelés, mais
peu sont élus » est un sémitisme, qui était parfaitement clair pour ses contemporains,
signifiant, en français moderne, que « tous ceux qui sont appelés ne sont pas automatiquement
élus », ce qui ne veut d’ailleurs pas dire qu’il y aura nécessairement des exclus : cela dépend
justement de la réponse que chacun est appelé à donner librement. Sans cela, les élus
pourraient l’être malgré eux, et donc n’auraient plus la liberté nécessaire pour accepter ou
refuser ! (b) Remarquons encore que, contrairement au passage parallèle de Mt 22,2-14, saint
Luc ne parle pas de l’invité qui n’avait pas revêtu la robe nuptiale et qui est jeté dehors, pieds
et poings liés : là encore, il faut savoir lire l’Écriture sainte dans son contexte car, dans notre
manière moderne de parler, on devait dire que celui qui est jeté dehors s’est en fait exclu lui-
même volontairement : il se retrouvera dehors, en effet, mais parce qu’il l’a voulu ! Les
épisodes du retour de l’Enfant prodigue (Lc 15,11ss) et du Bon Larron (Lc 23,42s) montrent à
suffisance que Dieu est toujours non seulement prêt à recevoir le pécheur qui se repent, mais
qu’Il est en fait heureux, infiniment plus heureux que nous, de le voir revenir, comme Jésus
l’a dit explicitement : il y aura plus de joie dans le Ciel pour un seul pécheur qui fait
pénitence, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de pénitence” (Lc 15,7 ;
cf. Mt 18,13). De ce point de vue, Luc, qui est de culture grecque, ne parle pas comme un
sémite, ce qui est plus clair pour nous. (c) Quant à l’épître, lorsque saint Paul dit que « la
colère de Dieu vient sur les fils de l'incrédulité », comprenons bien que, s’il est exact que
Dieu souffre de nos défauts comme des parents souffrent de voir les défauts de leurs propres
enfants, le vrai problème retombe sur nous, car nous sommes, nous-mêmes et les frères et
soeurs qui nous entourent, les premières victimes de nos propres défauts ; pour prendre
l’exemple de l’avarice, que Paul a visée spécialement, la littérature française – avec l’Avare
de Molière et la fable Le savetier et le financier de La Fontaine – a suffisamment bien
caricaturé les maux que les avares se créent à eux-mêmes (en plus d’en faire souffrir ceux qui
les entourent) pour qu’il ne soit pas nécessaire d’insister.
Ces mises au point me paraissent indispensables pour ne pas faire dire aux textes
entendus aujourd’hui autre chose que ce qu’ils signifient. Ce sont en effet les lectures prévues
pour ce « dimanche des ancêtres du Seigneur » (2 e dimanche avant Noël), et elles doivent
nous préparer à célébrer la Nativité du Seigneur en en comprenant toute la portée, autant que
possible. Quelle est donc la « pointe » de cette parabole ? On voit bien que les invités de la
noce sont tous des gens aisés, qu’ils étaient appelés à célébrer l’amitié en participant à la joie
du Maître du festin, et non pas simplement à venir se rassasier, car ils avaient tous largement
de quoi manger chez eux, contrairement d’ailleurs aux « pauvres, aux estropiés, aux aveugles
et aux boiteux » que les serviteurs iront chercher le long des chemins. Et, justement, c’est cela
que les invités « snobent », si je peux employer un mot d’argot qui signifie bien ce qu’il veut
dire. Ils n’en ont que faire, de l’amitié du Maître du festin ! À l’inverse, si les pauvres ont dus
être forcés à entrer, ce n’est sans doute pas qu’ils n’étaient pas heureux d’avoir l’occasion de
participer à un festin, eux qui devaient n’avoir que rarement l’occasion de manger à leur faim,
mais parce qu’ils se trouvaient trop « insignifiants » pour être invités par un pareil
personnage, qu’ils se disaient que « ça ne peut pas être pour moi ». Et pourtant, oui, le Maître
du festin s’intéressait à eux même si, dans le cadre de la parabole, ce n’est qu’en un second
temps, faute de réponse de la part des invités officiels.
Comprenons bien ce que Jésus a voulu dire ici : tout l’Ancien Testament annonce la

venue d’un Messie, qui sauvera son peuple. Mais les « invités », à savoir le peuple d’Israël,
n’étaient pas intéressés à un Messie qui les sauverait de leurs péchés, ils n’attendaient qu’un
messie temporel, qui donnerait à leur peuple la souveraineté temporelle, qui leur assurerait la
sécurité et la prospérité matérielles. Or, ce n’est pas cela le plan de Dieu : c’est de la mort
éternelle qu’Il veut nous sauver, et non pas nous assurer un confort temporel ! Comme Jésus
n’entrait pas dans les vues, on l’a combattu, et finalement fait mettre à mort. Bien plus, Jésus
a eu la prétention d’inviter les pécheurs, créant ainsi le scandale aux yeux de ceux que ceux
qui se considéraient comme « les justes » – comme si l’on pouvait s’attribuer ce titre à soi-
même ! – mais Il a même ouvert les portes du Royaume à toutes les nations, délogeant ainsi
les Juifs de l’exclusivité qu’ils pensaient être la leur, leurs « droits acquis » – comme si l’on
pouvait s’approprier l’œuvre de Dieu ! Et c’est bien cela que vise la parabole de ce jour : Dieu
ne nous invite pas à entrer dans le Royaume que nous imaginons, un royaume matériel dont
rêvent les hommes, mais dans le seul et unique vrai Royaume, celui qui consiste à vivre dans
la vérité, et jusqu’au bout, le fait d’être « à l’image et à la ressemblance de Dieu ».
Ce Royaume de Dieu commence « ici et maintenant » : il a été inauguré par la naissance
sur terre du Fils de Dieu, qui a voulu assumer totalement notre condition humaine pour nous
montrer, dans sa chair mortelle, comment est Dieu, qui aime jusqu’au bout, jusqu’à donner sa
vie pour ses créatures. Jésus nous a aussi montré, par l’exemple de sa vie terrestre, comment
nous pouvons à notre tour vivre en enfants de Dieu.
Rappelons-nous l’histoire du péché d’Adam et Ève : ils avaient toute liberté d’accepter
ou de refuser la réalité – à savoir qu’ils étaient les créatures d’un Dieu infiniment bon, et que
cette condition était parfaite pour nous, ce que signifie l’image du « paradis terrestre » – mais
ils ont choisi plutôt de chercher à « être comme des dieux » : après leur refus, leurs yeux se
sont ouverts et ils se sont retrouvés nus et terrifiés, car on ne peut pas vivre longtemps dans
l’illusion, refuser la réalité. Alors Dieu, qui est un Dieu d’amour et qui pardonne, leur a donné
des « tuniques de peau », selon l’image de la Genèse, c’est-à-dire un corps de chair,
périssable, pour leur permettre d’expérimenter eux-mêmes ce que cela signifie que d’« être le
créateur ». La suite de l’histoire, nous ne la connaissons que trop bien : les hommes se sont
rendu compte de ce que cela signifie que d’être autonome, de se prendre pour un dieu ; ils se
sont battus, chacun a tiré la couverture de son côté aux dépens des autres, et il en est sorti un
monde qui est loin d’être un paradis, un monde où les « joies » ne sont qu’éphémères. C’est
pourquoi Jésus, la 2 e Personne de la sainte Trinité, est venu sur terre pour nous ouvrir la route,
pour nous montrer le seul chemin possible pour faire notre salut. Il nous a invités à son festin,
pour revenir à l’image de la parabole, mais c’est à chacun de nous d’accepter ou de refuser
librement de Le suivre. Nous semble-t-il que nous avons des choses plus importantes à faire
qu’à accepter son invitation ? Que nous avons mieux à faire qu’à songer au sens réel qu’a
notre vie terrestre ?
Et je voudrais encore, si vous le permettez, ajouter un mot à propos du peuple d’Israël.
Certes, il a été appelé, et il le reste, quelle que soit sa situation, mais sans doute doit-il,
comme tous les êtres humains, accepter d’entrer dans le « festin du Royaume » aux conditions
fixées par Dieu, et non pas par lui-même. Cela vaut pour lui comme pour tous les peuples et
toutes les nations. Comment doit se faire cette acceptation libre et consciente de l’invitation
formulée par le Seigneur ? Ce n’est certes pas à moi, ni je crois à aucun être humain, de le
dire : Dieu seul connaît le cœur de chacun, Dieu seul est juge de la vérité et de la droiture de
chaque personne. La seule chose dont je sois sûr, c’est que le jour où tous les hommes de
bonne volonté adhéreront à l’enseignement de Jésus – quelle que soit d’ailleurs la manière
dont ils le feront – la terre redeviendra un paradis terrestre, et sans doute sera-t-il temps pour

tous et chacun de goûter le vin nouveau du Royaume (cf. Mt 26,29) !