Categories

24e dimanche après la Pentecôte

L’épître de ce jour nous parle de paix, de la paix que Jésus a réalisée par le sang de sa
Croix. La paix, c’est ce à quoi tout le monde aspire, en particulier dans notre monde d’où elle
est tellement absente ! Mais prenons bien garde qu’il s’agit de la paix de Dieu, et non pas
seulement de la paix telle que les hommes la conçoivent. Nous serions, certes, tous très
heureux si l’on avait déjà l’absence de guerre, si des milliers d’innocents n’étaient pas
occupés à payer de leur vie ou de leur souffrance la folie insatiable de quelques-uns. Mais
justement l’histoire nous enseigne que cette paix-là ne dure jamais longtemps, et les médias
nous obligent, aujourd’hui, à nous rendre compte que, même s’il y a un temps de paix ici ou
là, la guerre se déroule tout simplement ailleurs, et pas nécessairement sans que nos pays n’y
portent quelque responsabilité, même si vous et moi n’avons pas le pouvoir de mettre fin à ces
conflits. Il n’y a d’ailleurs pas que la guerre militaire : il y a aussi la guerre économique, qui
peut faire autant de ravages, même si ce n’est pas aussi manifeste à première vue, il y a la
guerre d’influence, qui est désormais survoltée par l’existence des moyens de communication,
il y a aussi la guerre psychologique, lorsqu’on « isole » certaines catégories de personnes
uniquement à cause de leur nom, de leur religion, de leur origine ou de la couleur de leur
peau. Ne nous faisons pas d’illusion : aucune législation, aucun mouvement dit « pacifique »
n’arrivera jamais à créer une paix durable. C’est déjà bien lorsqu’ils peuvent donner lieu à un
répit, limiter les dégâts, mais l’Écriture sainte nous montre que jamais les moyens humains ne
suffiront, car le péché est hélas bien présent sur la terre, et dans le coeur des hommes, y
compris le nôtre, et tout l’Ancien Testament nous montre bien, symboliquement, que les
hommes échouent toujours lorsqu’ils s’en remettent à eux-mêmes, un peu comme dans
l’histoire de la Tour de Babel : dès que l’on s’est mis d’accord pour faire quelque chose, le
démon de l’orgueil s’insère et chacun tire la couverture de son côté (ce qui est symbolisé par
la différence des langues qui les empêche de s’entendre).
C’est bien pourquoi l’amour infini de Dieu pour sa création n’a trouvé d’autre solution
que d’envoyer son propre Fils sur terre, pour y faire connaître ce qu’est la paix de Dieu. Et
cette paix-là ne peut pas commencer ailleurs qu’en soi-même, et ne pourra jamais être
effective que lorsque tous la rechercheront en vérité en acceptant, comme Jésus, d’aimer
jusqu’au bout en renonçant totalement à soi-même par amour pour autrui.
« Je vous laisse la paix, Je vous donne ma paix; ce n'est pas comme le monde la donne
que je vous la donne. Que votre coeur ne se trouble pas, et qu'il ne s'effraye pas » (Jn 14,27)
La paix de Dieu, ce n’est pas seulement l’absence de conflit, c’est le fait d’être en harmonie
totale avec soi-même, donc avec le monde dans lequel on vit, la nature, les autres, et sa propre
personne, et en fait avec Dieu, qui seul a le pouvoir de nous donner la force d’accepter la vie
qui est la nôtre avec les limites de notre santé (non seulement le fait de vieillir, mais même de
bien plus graves dommages qui surviennent), les limites inévitables des rapports entre
humains (non, tout le monde n’est pas nécessairement gentil…), les limites inévitables de la
nature (catastrophes, naturelles ou non). Dieu seul peut nous permettre d’atteindre cette paix,
pour autant que nous Le laissions faire, ce qui n’est certes pas facile, comme l’attitude des
disciples de Jésus nous le montre. Mais on peut y arriver, avec l’aide de Dieu, comme on le
voit par l’exemple de S. Paul, mais aussi à la parole dite par Jésus à Pierre à la fin du

quatrième évangile, annonçant que Pierre mourrait en martyr (Jn 21,18s), qui se conclut par :
« Suis-moi ». Suivre Jésus, on le sait, mène à la Croix, mais aussi à la Résurrection…
Cette paix est donc tout intérieure, elle est le fruit de la solidité de notre lien avec Dieu
en Jésus-Christ, qui nous envoie le Saint Esprit, qui tisse le lien entre nous, comme le rappelle
S. Paul : « Je vous conjure donc, moi prisonnier dans le Seigneur, de marcher d'une manière
digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés: en toute humilité et douceur, avec
patience, vous supportant les uns les autres avec charité, vous efforçant de conserver l'unité
de l'esprit dans le lien de la paix. Il y a un seul corps et un seul esprit, comme vous avez été
appelés à une seule espérance par votre vocation » (Eph 4,1-4). C’est dans la mesure même
où, grâce à l’Esprit d’amour qui est celui de Jésus, nous arrivons à faire la paix en nous-
même, que nous rayonnerons cette paix autour de nous, même face à ceux qui n’en veulent
pas. Jésus n’a-t-Il pas commandé d’aimer même ses ennemis (Mt 5,44) ? Et s’il est vrai que «
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9), c’est parce qu’ils
auront fait la paix à l’intérieur d’eux-mêmes : quel que soit l’accueil qu’on leur réserve, ils
seront heureux parce qu’ils porteront en eux l’Esprit de Jésus… même si ce bonheur ne
pourra jamais être total avant que toute la création n’accepte librement d’entrer dans la paix
de Dieu, dans la Jérusalem céleste, qui sera « le tabernacle de Dieu avec les hommes, Il
habitera avec eux, et ils seront Son peuple, et Dieu Lui-même sera avec eux » (Apoc 21,2s).
Et comme nous savons que la patience de Dieu est sans limite, attendons-nous à devoir
attendre jusqu’à la fin des temps, car jamais Dieu ne prendra le risque de « briser le roseau
cassé, et d’éteindre la mèche qui fume encore » (Mt 12,20).
Cette paix est-elle donc tellement lointaine qu’elle serait pour nous un mirage, un but
impossible à atteindre, comme la société où nous vivons pourrait bien nous pousser à le croire
? Non, car chacun d’entre nous est appelé à être lui-même le « temple de l’Esprit », dans
lequel Dieu habite, et donc à être saints (1 Cor 3,16s; Eph 2,22). Et qu’est-ce donc que la
sainteté, sinon de vivre en union avec Dieu, d’être unifié en Lui, et donc d’avoir retrouvé en
soi-même cette harmonie fondamentale avec Dieu, avec soi-même et avec la création à
laquelle tous nous aspirons ? Certes, les saints souffrent avec Dieu de l’absence de paix dans
le monde, mais en même temps ils comprennent en profondeur cette parole de Jésus, qui est
notre raison de vivre : « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en moi. Dans le
monde, vous avez des afflictions; mais ayez confiance, j’ai vaincu le monde » (Jn 16,33).
N’oublions jamais que la vie éternelle, elle commence toujours « maintenant » – quoique,
bien entendu, elle sera vécue sous un autre mode après notre mort terrestre – et « le ciel »
aussi. C’est dans la mesure même où nous faisons vraiment confiance à Dieu, où nous
pouvons dire à Dieu, avec Jésus : « je sais que tu m’écoutes toujours » (Jn 11,42), en croyant
de tout notre cœur qu’Il ne nous abandonnera jamais, que nous aurons le cœur en paix.