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Dimanche des Pères du 7e concile

En ce dimanche où nous faisons mémoire des Pères du septième concile oecuménique (787
AD), je vous propose de méditer un peu sur le sens des icônes, dont ce concile a rétabli la
vénération après la période iconoclaste, où divers empereurs ont voulu interdire les icônes pour
préserver, disaient-ils, la pureté de la foi. Et, en effet, ils pouvaient justifier leur attitude par la nette
condamnation de toute image taillée que l’on trouve dans l’Ancien Testament : « Tu ne te feras
point d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux,
qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre » (Ex 20,4). Notons au
passage le terme « image taillée », qui est celui sur lequel s’appuie la tradition byzantine pour
justifier les icônes: ce sont des images peintes et non des images taillées, comme le sont les statues
occidentales. Ce refus de l’A.T. repose évidemment sur la crainte de l’idolâtrie, dont le veau d’or
(Ex 32,4) constitue l’exemple-type : alors qu’Israël a été délivré de la captivité d’Égypte par la main
de Dieu, il se met à adorer l’image d’un veau que l’on vient de fondre avec les bijoux que portaient
les femmes, et cela afin d’avoir un dieu visible, matériel, dont on s’imagine que l’on peut en
quelque sorte le maîtriser en lui faisant des offrandes.
En effet, alors même que la Bible fourmille d’expressions anthropomorphiques pour parler de
Dieu (par ex. dans le Ps 18, qui décrit Dieu comme le maître de l’orage, « une fumée montant de ses
narines, un feu dévorant sortant de sa bouche, … chevauchant un chérubin » (Ps 18, 8.10), elle
tient absolument à préserver son absolue transcendance : la créature ne peut pas voir Dieu sans
mourir (Ex 33,20 ; 1 Rs 19,12s). Notons au passage que, du moins pour nous chrétiens, cela laisse
ouverte la possibilité de voir Dieu « tel qu’Il est » après notre mort, comme le dit explicitement la 1 e
épître de Jean (« Nous savons que, lorsque ce [que nous serons] sera manifesté, nous serons
semblables à Lui, parce que nous Le verrons tel qu'Il est » 1 Jn 3,2). Et en quelque sorte, cela peut
se comprendre : aussi longtemps que nous sommes limités par la matière, il nous est impossible de
saisir ce qui est totalement immatériel. C’est dans les oeuvres de sa création que Dieu manifeste sa
gloire, comme l’explicitera Rom 1,20 : « Les perfections invisibles (de Dieu) sont devenues visibles
depuis la création du monde, par la connaissance que ses oeuvres en donnent, ainsi que sa
puissance éternelle et sa divinité ».
Et si l’A.T. a tellement tenu à préserver la pureté de la religion en écartant d’elle tout lien
matériel, c’est pour préserver l’essentiel de ce qu’est la religion telle que nous l’entendons (le mot «
religion » vient de « relier »), à savoir qu’elle est un lien en quelque sorte filial entre le Dieu tout-
puissant et sa créature, un lien qui suppose le respect de la vérité de ce que chacun est. Il n’y a pas
de « magie » dans la vraie religion telle que Dieu la veut, contrairement à ce que laisse entendre le
culte des idoles (et comme peut le devenir aussi le culte chrétien si nous nous laissons piéger par la
matérialité des faits) : aucune prière, aucune offrande, aucun geste ne « garantit » l’intervention
favorable de Dieu, car la religion que nous enseigne Jésus, déjà présente dans l’Ancienne Alliance,
est une affaire de relation entre êtres libres, non une prise de pouvoir par qui que ce soit sur qui que
ce soit.
Et, précisément, la Bible nous enseigne que l’homme a été créé à l’image de Dieu (Gen 1,26 –
repris dans Gen 9,6 : « car l’homme a été créé à l’image de Dieu ») ; expression reprise de manière
très explicite par Sag 2,23 (« Car Dieu a créé l’homme immortel, et Il l’a fait à l’image de sa
ressemblance »). C’est aussi manifesté dans la « généalogie de Jésus » telle que la donne Lc 3,23-
38, finissant par : « … Seth, fils d’Adam, fils de Dieu » : toute l’humanité descend de Dieu. Et
encore ailleurs, par ex. Jc 3,9 : « les hommes, qui ont été faits à l’image de Dieu ».

Mais cela ne s’arrête pas là : depuis l’Incarnation du Fils de Dieu, Dieu est devenu visible,
non pas certes dans sa toute-puissance et sa majesté infinies, mais dans une forme humaine, visible
et surtout intelligible pour l’être humain (Jn 1,18: « Dieu, nul ne l’a jamais vu; le Fils unique, qui
est dans le sein du Père, voilà Celui qui L'a manifesté »). Et comme Jésus l’a répondu à Philippe : «
qui Me voit, voit aussi le Père » (Jn 14,9).
Mais Dieu n’a pas limité à cela sa Providence : en Jésus, par le baptême, nous devenons nous
aussi enfants de Dieu (Jn 1,12), et sommes appelés à refléter, à notre tour, l’image de Dieu. Un
agraphon (citation attribuée à Jésus mais non attestée par l’Ecriture) dit d’ailleurs : « Tu as vu ton
frère? tu as vu Dieu ! » (Clément d’Alexandrie, Stromates, I, 19, 94, 5 et II, 15, 70, 5 ; on le
retrouve encore ailleurs, et notamment cher Tertullien, De oratione, 26,1, et dans l’apophtegme
Apollos 3). C’est fort bien explicité par saint Paul : « ceux qu'Il a connus par Sa prescience, Il les a
aussi prédestinés à devenir conformes à l'image de Son Fils, afin qu'Il fut Lui-même le Premier-né
entre des frères nombreux. Et ceux qu'Il a prédestinés, Il les a aussi appelés; et ceux qu'Il a
appelés, Il les a aussi justifiés; et ceux qu'Il a justifiés, Il les a aussi glorifiés » (Rom 8,29-30). Et
cela concerne tout le monde : « Quant à nous, notre vie est dans le Ciel, d'où nous attendons comme
sauveur notre Seigneur Jésus-Christ, qui transformera notre corps d'humiliation, en le rendant
semblable à Son corps glorieux, par le pouvoir qu'Il a de S'assujettir toutes choses » (Phil 3,20s).
Cet honneur pour la créature que nous sommes entraîne aussi une conséquence importante : « Soyez
parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48). Et cela nous oblige aussi à nous aimer les
uns les autres, comme c’est dit clairement par 1 Jn: « Comment celui qui n'aime pas son frère qu'il
voit, peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas? … Que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1 Jn
4,20s).
Même si nous avons conscience de refléter bien mal la gloire divine, nous ne devons jamais
oublier que donner vie à cette image de Dieu qui est en nous est notre vocation la plus profonde, la
seule qui soit pour nous la clé du bonheur. Certes, nous avons besoin du pardon de Dieu pour nos
fautes, mais justement le Christ est venu nous obtenir ce pardon !
Et pour en venir maintenant à la vénération des icônes, nous ne devons jamais perdre de vue
que les saints sont des êtres humains tout comme nous, qu’ils ont eu aussi besoin du pardon de
Dieu, mais que, par leur propre adhésion libre à la grâce divine et leur amour de Dieu, ils ont su
refléter de manière toute particulière l’image de Dieu qui est chacun de nous. En eux, elle a
resplendi de manière particulière. Donc, vénérer les icônes, c’est reconnaître le miracle divin, qui a
fait des hommes tirés de la terre (Gn 2,7) des enfants de Dieu (Jn 1,12) et a fait resplendir en eux la
gloire divine, c’est-à-dire l’amour divin, car « Dieu est amour » (1 Jn 4,20).
En vénérant les icônes, nous rendons grâce à Dieu d’avoir donné à de simples créatures,
comme nous le sommes, de refléter la gloire divine qui se manifeste sur leur visage, réalisant ces
paroles de saint Paul : « Et nous tous, qui contemplons la gloire du Seigneur à visage découvert,
nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comme par l'Esprit du Seigneur »
(2 Cor 3,18). Ou, comme le dit une des préfaces de l’Eglise latine pour les saints : « Quand tu les
couronnes, Tu couronnes tes propres dons ». Et S. Paul ajoute encore : « le Dieu qui a dit à la
lumière de resplendir du sein des ténèbres, a fait luire aussi Sa clarté dans nos coeurs, pour que
nous fassions briller la connaissance de la gloire de Dieu en la personne du Christ Jésus » (2 Cor
4,6).
Une dernière conséquence de tout cela, et elle n’est pas banale : il ne s’agit pas simplement de
vénérer les icônes et d’admirer l’oeuvre de Dieu ! Nous ne devons jamais oublier que, tous, nous
sommes appelés à la sainteté, et que la meilleure — et en fait seule — manière de rendre vraiment
gloire à Dieu, c’est de suivre Jésus à notre tour et de mettre en pratique ses paroles. Qui est ma mère

et qui sont mes frères ? Ce sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique !
(Lc 8,21).