Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,
Frères et sœurs,
Nous avons entendu ce matin, dans l’évangile de Luc,
l’histoire de la pêche miraculeuse et l’appel des premiers
apôtres, Pierre, Jacques et Jean. Rappelons-nous que le
même miracle de la pêche miraculeuse est raconté aussi
tout à la fin de de l’évangile de Jean (Jn 21,1-11), qui la
situe après la résurrection de Jésus. Dans les deux cas,
Jésus est directement confronté à l’apôtre Pierre.
Aujourd’hui, dans l’évangile de Luc, Jésus annonce à
Pierre qu’il deviendra « pêcheurs d’hommes » ; dans
l’évangile de Jean, il lui demande de « paître ses
agneaux » et d’être « le berger de ses brebis ». Dans les
deux cas, que ce soit au début ou à la fin de l’évangile,
saint Pierre est bouleversé par la rencontre avec Jésus.
Pour comprendre l’évangile d’aujourd’hui, nous
devons nous rappeler ce qui précède immédiatement.
Nous ne sommes qu’au début du ministère de Jésus.
Après avoir résisté aux tentations dans le désert, Jésus se
rend en Galilée pour enseigner dans les synagogues. A
Nazareth, où il avait passé son enfance, il explique – par
une citation du prophète Isaïe - pourquoi il est venu. Il est
envoyé par Dieu « pour annoncer la bonne nouvelle aux
pauvres, pour proclamer la libération des prisonniers,
pour rendre la vue aux aveugles et la liberté aux
opprimés, pour annoncer une ‘année jubilaire pour le
Seigneur’ 1 ». En un seul mot : Dieu s’est souvenu des
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hommes et des femmes qui souffrent. Il est venu les
libérer de leur enfermement, il est venu, comme on dit,
les « sauver ».
A Nazareth, ce message émerveille les auditeurs
au premier abord (Lc 4,22), mais on lui reproche aussi de
ne pas faire des miracles chez lui, dans sa patrie, comme
il en a fait ailleurs, à Capharnaüm, par exemple, au bord
du lac de Galilée. Car là, il chasse les démons et il opère
des guérisons. Là, les gens disent que Jésus parle et
enseigne « avec autorité ». Qu’est-ce à dire ? Ce ne sont
pas des paroles vides mais des paroles qui agissent, qui
transforment, qui construisent, qui libèrent. Des paroles
qui engagent celui qui parle. Quand Jésus nous parle et
nous regarde, il « s’implique », il se rend présent dans
notre vie. Il peut compatir avec chacun d’entre nous, avec
nos souffrances et les injustices que nous subissons, car il
les a connus lui-même. On pourrait dire : il les a connus
« depuis l’éternité » et il les subira dans cette vie
« jusqu’à la mort » sur la Croix. En un seul mot : il « est »
la Parole qu’il prêche, il est la Parole de Dieu, le Verbe
de Dieu devenu homme parmi nous.
Son succès, au début, est immense. La foule se
presse autour de Jésus, elle colle à lui. Mais ce n’est pas
le but. Le danger, pour nous, c’est de nous « servir » de
lui comme d’un médium, d’un instrument, de ne penser à
Lui qu’à partir de nos propres intérêts. Jésus ne veut pas
être instrumentalisé. Nous ne pouvons le « retenir ». Nous
risquons de l’étouffer en nous-mêmes. Il faut une certaine
distance. Jésus se retire alors pour prier, pour retrouver
son Père, la source de sa puissance et de son autorité. De
1 C’est-à-dire, d’après Lev 25,10 : pour que les dettes de pauvres
soient effacées et que l’on vive désormais de ce que Dieu (et la
nature) nous donne dans sa grande générosité.
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même, quand les gens le pressent au bord du Lac, il
monte dans la barque de Pierre pour s’éloigner
légèrement de la rive et faire entendre sa voix « de sur les
eaux », la voix du Dieu Créateur qui aux origines
« planait sur les eaux de l’abîme ».
Peut-être y a-t-il une allusion au psaume 28 :
« Voix du Seigneur sur les eaux,
voix du Seigneur dans la force,
voix du Seigneur dans l’éclat,
voix du Seigneur qui secoue le désert…
Dieu donne la puissance à son peuple,
Dieu bénit son peuple dans la paix ».
Après avoir ainsi parlé aux foules, Jésus demande
à Pierre « d’avancer en eau profonde pour attraper du
poisson ». Pourquoi cette demande ? Jésus a-t-il besoin
de poisson ? Comme nous le montre la fin de cette
histoire, ni Pierre, ni Jésus ne se serviront de la pêche
abondante. Manifestement, Jésus veut nous faire
comprendre autre chose ! Dans l’évangile de Luc, Pierre
avait déjà rencontré Jésus quelques jours auparavant, à
Capharnaüm, quand Jésus avait guéri sa belle-mère d’une
forte fièvre (Lc 4,38-39). Or, cette guérison n’a pas fait
de Pierre tout de suite un disciple de Jésus. Elle ne l’a pas
bouleversé. Il a continué sa vie comme auparavant, il est
retourné à sa barque. Voir des miracles ou entendre des
paroles de Jésus, apparemment, ne suffisent pas à devenir
chrétien. Nous devons nous laisser toucher par Lui au
profond de nous-même. C’est pourquoi, aujourd’hui,
Jésus intervient directement dans la vie de Pierre, dans sa
vie la plus banale, dans son métier, son travail quotidien.
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Finalement, Pierre est bouleversé. Il y a ici plus que la
nature, voit-il, ici Dieu est à l’œuvre. Pierre réagit comme
devant une théophanie, une manifestation de Dieu : il
tombe aux genoux de Jésus, il l’appelle « Seigneur »
(Kyrios) et il lui demande de s’éloigner. Car, il sait, de
l’Ancien Testament, que « l’homme ne peut voir la face
de Dieu et vivre » (Ex 33,20). Saint Luc résume :
« l’effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec
lui ». Mais Jésus rassure et console, en disant « sois sans
crainte, désormais ce sont des hommes que tu auras à
captiver vivants ». C’est bien que tu te dis pécheur,
Pierre, car c’est pour des gens comme toi que je suis
venu. Tu m’as laissé entrer dans ta vie quotidienne, tu
m’as fait confiance, contrairement au bon sens.
Ensemble, nous avons réussi une pêche surabondante,
mais désormais tu rassembleras autour de toi des hommes
et des femmes pour les conduire toi-même, à ton tour,
vers la Vie (le verbe employé ici en grec, zôgreô, veut
dire : capturer vivant, sauver la vie).
Sur cette annonce de Jésus, nous dit saint Luc,
Pierre, Jacques et Jean, ramènent les barques à terre et
abandonnent tout pour suivre Jésus. Jésus ne les a pas
vraiment appelés à faire cela, ils le décident ici eux-
mêmes. S’agit-il d’une conversion instantanée,
spectaculaire, miraculeuse ? Certes non ! Se convertir,
être entièrement à Dieu tout au long de sa vie est un long
chemin. Saint Pierre, cet « apôtre fragile » (comme
l’appellent certains) nous le montre bien : il va de
malentendu à l’incompréhension, il comprend souvent
mal son Maître et il ira même jusqu’à nier trois fois le
connaître juste après avoir « communié » avec lui à la
Dernière Cène, il pleurera pour cela amèrement, et après
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la résurrection il confessera – selon l’évangile de Jean -
jusqu’à trois fois son amour pour Jésus.
Nous aussi, frères et sœurs, soyons à l’écoute de la
Parole de Dieu, laissons agir Jésus dans notre vie, soyons
à notre tour, à l’image de Pierre, des disciples de Jésus,
fragiles sans doute, mais des disciples qui rassemblent
autour de nous des hommes et des femmes pour les
« conduire vers la Vie », ici sur terre et pour l’éternité.
Amen.