C’est le matin de Pâques et l’on pourrait croire que tout est fini, alors que tout commence. Croire que tout est fini, ce devait être le sentiment des Onze, et de ceux qui les entouraient, du fait de la mort de Jésus. Ils avaient perdu leur rabbi, leur maître, celui en qui ils reconnaissaient le Messie. Et avec lui, ils avaient aussi perdu leurs rêves de grandeur et de restauration nationale qu’il ne leur a d’ailleurs jamais promises. Apeurés, craignant d’être reconnus pour ses disciples, ils se sentaient traqués et vivaient enfermés. Les femmes qui, après l’interminable attente du shabbat, s’étaient levées de grand matin pour se rendre au tombeau, ne s’y étaient rendues que pour accomplir des rites funèbres inachevés.
Affolées de trouver le tombeau vide, elles s’étaient empressées d’aller porter la nouvelle aux disciples. Pierre et Jean s’y étaient rendus en toute hâte pour constater que le corps du Seigneur avait disparu. Et si ce vide avait éveillé la foi de Jean, il avait laissé Pierre perplexe. Ce premier jour de la semaine s’ouvrait sur le vide alors que la plénitude des temps était arrivée. Stupeur et incompréhension étaient au rendez-vous. Elles ne se dissiperont qu’au fil des heures et des jours qui suivront.
Ce vide du tombeau n’est-il pas l’image du vide qui doit se faire en nous pour que le Seigneur nous apparaisse tel qu’il est, « lui et la puissance de sa résurrection », selon l’expression de saint Paul dans sa lettre aux Philippiens (Ph 3, 10) ? N’est-il pas l’image de ce dépouillement par lequel il nous faut passer, - et c’est bien là le sens de la Pâque, le passage, - pour retrouver le Christ tel qu’il est, et non tel que nous voulons qu’il soit ? La mémoire, ou faire mémoire, n’est pas un repli mortifère sur le passé, c’est un acte dynamique qui nous propulse en avant, dans une constante recherche « des choses d’en haut, là où est le Christ, assis à la droite de Dieu » (Col 3, 1). Dans le récit que l’évangéliste Luc fait de la visite des femmes au tombeau, elles s’entendent dire par les deux hommes en habit éblouissant : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée : “Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite.” » (Lc 24, 5-7). Et l’évangéliste d’ajouter : « Alors elles se rappelèrent les paroles qu’il avait dites » (Lc 24, 8).
L’évangéliste Jean, que nous venons d’entendre, termine en des termes à peu près semblables le récit de la visite de Pierre et de l’autre disciple au tombeau : « Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts » (Jn 20, 9). Voilà qui reprend ce qu’il disait au tout début de son évangile, lorsque Jésus ayant annoncé qu’il relèverait le temple en trois jours, l’évangéliste commente : « Il parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand il ressuscita d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite » (Jn 2, 22). Pour en revenir à Luc, il insiste à plusieurs reprises sur cette explication des Écritures que Jésus donne à son sujet, que ce soit aux pèlerins d’Emmaüs dont il enflamme le cœur, (Lc 24, 27. 32), ou aux Apôtres rassemblés qu’il comble de joie, le soir de Pâques (Lc 24, 44-48). Notons que s’il s’agit de relire les Écritures, il s’agit aussi d’en écrire une nouvelle page, un Testament Nouveau, livre d’une nouvelle Alliance scellée dans le sang du Christ mort et ressuscité.
La réalité de la Résurrection ou plutôt du Resuscité ne se découvre que progressivement au fil des apparitions et des Écritures. Si les apparitions ont cessé, les Écritures, elles, demeurent. Elles sont un moyen privilégié de connaître le Seigneur « avec la puissance de sa résurrection » (Ph 3, 10), de l’écouter, de le toucher et de nous laisser saisir par lui.
Les circonstances de la vie peuvent parfois nous amener à partager le désarroi des apôtres à cette heure où l’avenir leur paraît bien sombre. Avec pour conséquence une certaine tristesse de l’âme. Ne laissons pas la tristesse nous envahir. C’est le matin de Pâques, et tout commence, quelles que soient les apparences. Laissons-nous gagner par la force vive de la résurrection. « Pourquoi chercher parmi les morts le Vivant ? » (Lc 24, 5). Soyons assurés que le Seigneur est avec nous comme il l’a promis. Il vient à nous, au-delà de tous nos enfermements, nous libère de nos peurs, et nous fait passer avec Lui à ce qui ne passe pas … C’est le matin de Pâques, et tout commence parce que le Christ est ressuscité !