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Funérailles du Père Ambroise Dolfini

Ap 1, 1-8 ; Lc 12, 35-38. 40. 42-44

C’est à dessein que j’ai retenu les deux lectures que nous venons d’entendre. Elles me paraissent bien caractériser d’une part, l’événement, - le départ soudain du Père Ambroise, - et d’autre part, le Père Ambroise lui-même, serviteur fidèle.

La première lecture tirée de l’Apocalypse illustre la fresque de l’abside de notre église : le Christ en majesté. Dans un texte qu’il avait rédigé au cours de l’été dernier et envoyé à des amis, et à l’un ou l’autre confrère, le Père Ambroise disait contempler cette fresque du Seigneur Jésus, Alpha et Oméga, tous les jours en arrivant à l’église. Il y disait aussi que sa vie à Chevetogne s’acheminait vers la Parousie, comprenons vers l’ultime rencontre avec le Seigneur dont il pressentait, bien que de façon voilée, la venue. « Celui qui est, qui était et qui vient » a vraiment rempli sa vie.

Et puis, il y a l’évangile qui nous parle du serviteur fidèle que le maître trouve à son poste lorsqu’il arrive à l’improviste. Le Père Ambroise a été ce serviteur fidèle, cet intendant fidèle, si longtemps en second dans le monastère comme sous-prieur ou prieur, selon les époques, mais aussi comme cellérier, celui qui est sicut pater, comme un père pour la communauté, selon l’expression de saint Benoît (RB 31, 2). S’il avait quitté le service actif pour raison de santé depuis quelques années, le Père Ambroise n’en restait pas moins attentif aux autres, et ce avec la plus grande discrétion. Il était présent, de ces présences qu’on ne remarque pas toujours, mais qui manquent quand elles ne sont plus là.

Dans le texte rédigé l’été dernier, à la demande d’un ami, il reparcourait sa vie de façon très circonstanciée, mentionnant ceux qui sur son chemin l’avaient particulièrement marqué : don Valerio Crivelli, don Sandro Vitalini. Ces derniers temps, il en parlait beaucoup. Qu’il soit permis de rappeler quelques étapes de sa biographie : né à Bioggio, au Tessin, le 26 avril 1939, il a reçu au baptême le nom de Fausto. Au sortir de l’enfance, séduit par la vocation missionnaire, il part faire ses études secondaires au collège des missionnaires de Bethléem à Rebstein, puis à Immensee, et finalement à Altdorf, au collège San Carlo tenu par les bénédictins de Mariastein. C’est à la même époque qu’un lundi de Pâques, il découvre le rite byzantin chez les sœurs de Cureglia qui ont pour aumônier un moine de Chevetogne, le Père Stéphane. Voilà qui marquera le début de son intérêt pour les Églises d’Orient. Puis, ce sont les études à l’université de Fribourg. Et enfin, après un peu de temps dans l’enseignement et au service militaire, c’est l’entrée à Chevetogne, le 15 décembre 1961. Au noviciat, il reçoit le nom d’Ambroise. Il fait profession le 20 avril 1963. Puis ce sont les études de théologie à Trèves (1963-1968), et à Rome (1968-1969). De retour à Chevetogne, il y exerce la charge de sous-prieur pendant une vingtaine d’années (1969-1988), tout en étant, entre autres, et à certaines périodes, directeur de l’iconographie et cuisinier. Le 6 septembre 1989, il est ordonné prêtre et envoyé à Rome, en service au Collège Grec pendant dix ans, dont cinq comme recteur. De retour à Chevetogne à l’automne 1999, il y remplit à nouveau la charge de prieur pendant une dizaine d’années, se retrouvant aussi pour quelques années à la comptabilité. Voilà une vie bien remplie, toujours avec zèle et efficacité, le Père Ambroise se donnant à fond dans le service qui lui était demandé. Perfectionniste, il pouvait aussi être anxieux, dans son souci de toujours faire mieux, ce qui pouvait lui jouer des tours et parfois lui compliquer la vie. Mais après un moment de surmenage et d’exaspération, cela se terminait toujours par un grand éclat de rire, le Père Ambroise étant un heureux mélange de rigueur suisse et de jovialité italienne.

Serviteur fidèle, le Père Ambroise l’a été en bien des choses petites et grandes. Il avait un sens aigu de la famille, et le nom de ses sœurs Bruna et Bianca, de son frère Giorgio, mais aussi de ses neveux et nièces, nous était devenu familier parce qu’il nous en parlait. Plus d’un moine de Chevetogne a d’ailleurs passé par Bioggio ou y a fait un séjour de repos. Sa dernière grande joie aura été de fêter les cent ans de sa sœur Bruna, occasion de grandes retrouvailles familiales en septembre dernier. Occasion aussi de revoir des amis, car il était aussi fidèle en amitié, des amitiés de longues dates, certaines remontant aux premières années de la jeunesse et jamais démenties. Fidèle, il l’a également été à sa vocation de moine, toujours le premier au chœur, régulier dans sa lectio divina, cette lecture continue de la Bible qu’il faisait avec intérêt, enthousiasme et amour, et comme moine de Chevetogne, il a toujours manifesté le souci de toutes les Églises en s’informant de leur vie interne et des questions œcuméniques. Malgré une vue défaillante, le Père Ambroise était un grand lecteur, on le trouvait souvent à lire dans sa chambre ou à la salle des revues, toujours prêt à partager ses découvertes et à signaler l’un ou l’autre livre pouvant s’avérer intéressant pour son interlocuteur. Enfin, il avait un grand amour pour le rite ambrosien, cet antique rite de l’Église de Milan, qui lui tenait tant à cœur. Il commençait chaque journée en récitant l’office ambrosien en solitaire, avant d’entonner l’office latin avec la communauté. Ce rite nourrissait vraiment sa prière.

Le Père Ambroise s’en est allé discrètement dans la nuit du jeudi 28 au vendredi 29 octobre, à cette heure mystérieuse que nul ne connaît et qui est peut-être celle de la résurrection du Seigneur.

Dans le texte déjà évoqué, rédigé l’été dernier, le Père Ambroise écrivait pour finir : « En passant du labyrinthe à la nef et à l’autel de notre église, à chaque fois, je porte mon regard vers l’Orient, vers l’abside d’où me regarde et m’accueille pour la prière communautaire et l’eucharistie le Visage de Jésus, le Seigneur ressuscité, Alpha et Oméga. » Il le voit désormais face à face dans la lumière d’un nouveau matin.