Notre communauté est durement éprouvée ces jours-ci. Elle est en quarantaine en raison de l'épidémie du covid qui nous a rattrapé. Et surtout, nous déplorons le décès de notre Père Thaddée lundi dernier.
Nous communions en même temps aux souffrances et aux deuils de tant d'hommes et de femmes, de familles et de communautés. "Portez les fardeaux les uns des autres" nous exhorte saint Paul (Gal 6,2). N'est-ce pas là la manière la plus sûre de porter le joug du Seigneur.
Et pourtant, la fête de ce jour nous annonce la conception et la naissance d'un enfant. Elle est empreinte de joie et d'espérance. Le tropaire de la fête fait résonner cette joie. "Aujourd'hui nous célébrons le principe (kephalaion; fondement et début) de notre salut et la manifestation du mystère éternel (Rm 16,25): le Fils de Dieu devient le fils de la Vierge et Gabriel annonce cette grâce. C'est pourquoi avec lui nous crions à la Mère de Dieu: Réjouis-toi, pleine de grâces, le Seigneur est avec toi!"
Ecoutons attentivement la page d'Evangile qui nous raconte l'annonciation à Marie. Nous y découvrons bien plus que la joie et l'espérance de la future naissance d'un fils. Certes, il y a eu des mères exceptionnelles en Israël: Rahab la prostituée de Jéricho, Déborah la Juge, Myriam la sœur de Moïse, Ruth la Moabite, Anne la mère de Samuel, Judith, Elisabeth la mère de Jean Baptiste,... Mais jamais, au grand jamais, la grâce de Dieu, l'Esprit Saint, n'avait créé l'impossible humain: une vierge devenant mère en Israël!
C'est là le sens du dialogue entre Marie, la jeune femme vierge du bourg insignifiant de Nazareth, et l'archange Gabriel, l'envoyé de Dieu. Bien sûr, Marie sait qu'elle est l'épouse promise d'un descendant de David, Joseph, et qu'à ce titre elle pouvait devenir la mère du Roi Messie. Est-ce qu'elle serait en train de rêver et de fantasmer pour elle un avenir de Reine mère du Messie attendu? Plusieurs textes des diverses liturgies de l'Orient chrétien comparent les questions de Marie à l'ange, et leur sage prudence, à l'irréflexion dEve au paradis. Eve a été trop crédule et a ajouté foi aux paroles menteuses de l'archange déchu, qui lui promettaient un avenir divin, sous prétexte que Dieu serait jaloux de l'humain, son chef d'œuvre. Sainte prudence donc et modestie de Marie, la nouvelle Eve! "Comment cela se fera-t-il car je ne connais pas d'homme"? La réponse dépassait l'intelligence archangélique. Dépassait-elle l'intuition du cœur de Marie? Comprenait-il qu'elle était appelée à devenir la nouvelle Eve, "la mère de la vie" (Gen 3,20)? Marie comprit que Dieu, dans sa compassion de Père, recréait la vie que l'humain ne pourrait plus gâcher. Oui, Dieu posait un nouveau fondement (kephalaion). Mais ce "début" serait un germe, un levain dans la pâte de l'humanité blessée.
Dieu n'aurait pas fait grâce de cette semence de vie sans la libre réponse de Marie. Il veut bien avoir besoin de notre libre réponse à nous aussi, tant il nous aime, honore notre liberté et espère notre amour.
Un grand théologien byzantin laïc, saint Nicolas Cabasilas, a écrit que Dieu est follement amoureux de l'homme! Au point qu'avec une audace insensée et une confiance folle il confie son Fils, son Bien-Aimé, au "fiat" d'une vierge en Israël, Marie de Nzazareth. Oui, Marie deviendra et elle est la mère du Messie et la Mère de Dieu. Non sans que l'épée de la Croix transfixe son cœur (Lc 2,35)... Elle aussi, avec Jésus et comme lui, communie aux souffrances de l'humanité.
Prions, frères et sœurs, que le fiat de Marie ravive notre foi et notre espérance. Qu'elle intercède pour nous tous auprès de Jésus, le Seigneur et le Maître de notre vie. Amen.