Une Pâque toute particulière ! Nous vivons une Pâque toute particulière, comme le fut sans doute cette Pâque vécue par les disciples de Jésus, aux alentours de l’an 33 de notre ère. Cette première Pâque chrétienne de l’histoire ne s’est pas faite en fanfare, si vous me permettez l’expression, mais les disciples sont allés d’étonnement en étonnement. Sans doute étaient-ils tout aussi consternés que nous le sommes, nous, aujourd’hui parce que jamais ils n’auraient cru connaître une telle situation, et nous non plus. Le tombeau est ouvert, et les églises fermées. Sans doute y en a-t-il beaucoup d’entre nous qui, se voyant privés de célébrations liturgiques, se sentent privés du Seigneur, comme Marie de Magdala découvrant que l’on a enlevé le corps de son Seigneur et qu’on ne sait pas où on l’a mis. Et pourtant, le Seigneur est bien là, qui se manifeste à elle d’une autre façon, au point de ne pas être immédiatement reconnu et qui lui confie la mission de témoigner de sa résurrection.
Il ne devait pas y avoir grand monde en chemin lorsque Marie de Magdala s’est rendue au tombeau alors qu’il faisait encore nuit. Elle venait pleurer son Seigneur, et peut-être, avec d’autres femmes, achever un ensevelissement fait à la hâte. Il ne devait pas y avoir beaucoup plus de monde lorsqu’un peu plus tard, Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, curieux de vérifier ce que leur avait raconté Marie, se sont eux aussi rendus au tombeau et que l’autre disciple en est venu à distancer Pierre à la course. Voilà qui n’est pas sans faire penser à des recommandations que nous entendons depuis plusieurs semaines, la distance étant de rigueur. Mais ici, les raisons sont autres : pour les uns, c’est tout simplement parce que l’autre disciple que l’on identifie traditionnellement à Jean, plus jeune, court plus vite que Pierre ; pour d’autres, c’est parce qu’ayant été au pied de la croix, il sait, tout comme les femmes, où se trouve le tombeau ; pour d’autres encore, il s’agit de l’empressement de l’amour, comme chez la Madeleine d’ailleurs. Mais peut-on dire qu’à ce stade, il n’y a pas chez Pierre cet amour qu’il sera bientôt amené à confesser par trois fois ?
L’amour est là partout présent, blessé, frappé d’incompréhension, désemparé et peut-être d’autant plus désemparé qu’il n’a pas toujours été à la hauteur : si l’un a renié, les autres ont abandonné. Seules les femmes ont suivi. Persévérance d’un amour qui ne se dément jamais. « L’amour est fort comme la mort » (Ct 8, 6) Ça dit leur place dans l’Église et dans le monde. Ça dit aussi la place de l’Église dans le monde, pour autant que les chrétiens s’en tiennent au commandement nouveau de l’amour en s’aimant les uns les autres comme le Christ les a aimés et ce faisant, en étant reconnus pour ses disciples.
L’amour est là partout présent, et Jésus, qui a pardonné à ses bourreaux, ne reprochent pas à ses disciples de l’avoir abandonné. Ce qu’il leur reproche c’est d’être lents à croire, de ne pas le reconnaître vivant devant eux, avec eux. Ne manquons pas de foi, Jésus est là au sein de tous nos confinements quels qu’ils soient. Il rejoint ses disciples que la peur et la peine tiennent enfermés en un même lieu. Si tous n’ont pas le bonheur de le reconnaître à la fraction du pain et de partager ce pain avec lui, tous peuvent l’entendre leur interpréter les Écritures et en avoir le cœur tout brûlant.
L’amour est là partout présent. Et ce slogan qu’on nous assène à juste titre depuis des semaines : « Prenez soin de vous, prenez soin des autres », n’est-il pas une version sécularisée du commandement d’amour du prochain : « Aime ton prochain comme toi-même », qui se rattache au premier et au plus grand commandement : « Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit » (cfr Mt 22, 37-39) ?
L’amour est là partout présent. Le voilà jaillissant du tombeau. Et s’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime (cfr Jn 15, 13), il n’y a pas non plus de plus grand amour que de donner la vie, et de son propre aveu, c’est pour cela que Jésus est venu : « pour que nous ayons la vie et que nous l’ayons surabondante » (Jn 10, 10). En lui, les deux se confondent : donner sa vie et donner la vie parce qu’il est lui-même la Vie (cfr Jn 14, 6).
Beaucoup de nos jours n’ont pas le cœur à la fête parce qu’ils se retrouvent seuls, inquiets pour eux-mêmes ou pour des proches, confinés en des lieux exigus, atteints par la maladie, ayant perdu un être cher, voyant leur situation matérielle se détériorer et ne sachant pas de quoi demain sera fait. À nous de leur manifester, comme nous le pouvons, selon les moyens qui nous sont donnés, mais toujours avec amour, que Dieu est auprès d’eux, que le Christ est ressuscité. Si nos églises sont encore fermées, le tombeau, lui, est ouvert, et il le restera ! L’espérance ne déçoit pas !
