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Nuit de Pâques 2020

Nuit de Pâques 2020

Le Christ est ressuscité!
Christus is verrezen!
Christ is risen!
Christus ist auferstanden!
Cristo è risorto!

Frères et sœurs, où que vous êtes et qui m’entendez, je vous le répète : oui, le Christ est vraiment ressuscité !

Cette année, nous sommes invités à nous exercer en une autre mise en pratique de la Parole, en une autre forme d’être ensemble, en une autre manière de célébrer, de communiquer et de communier. Cette année, l’annonce de Pâques ne peut pas s’accrocher à notre expérience habituelle de l’immersion corporelle et entière dans la cérémonie dans l’église. La Parole, priée, proclamée ou chantée, doit trouver sa force et son efficacité chez chacun de nous au milieu de son entourage quotidien. C’est vrai, les circonstances de la pandémie et du confinement nous ont privés de notre manière habituelle de célébrer Pâques. Mais elles n’ont pas pour autant privé la Parole – le Logos – de sa force et de son efficacité. Si pour nous c’est le cas, si pour nous aujourd’hui l’annonce de la Résurrection n’est pas vraiment efficace et si Pâques n’est pas vraiment Pâques cette année, nous avons du travail à faire : du travail sur nous-mêmes, là où nous nous trouvons et dans les circonstances qui sont les nôtres. En effet, ne nous imaginons pas qu’il y ait des circonstances idéales pour célébrer Pâques, tout comme il n’y a pas de circonstances idéales pour célébrer la vie et l’amour, voire, pour vivre et aimer. Et ne pensons surtout pas que la participation à une belle cérémonie – comme par exemple la Nuit de Pâques – nous puisse garantir que nous recevions la Parole avec la force et l’efficacité qui lui appartiennent. Non, chacun de nous, dans notre situation particulière, là où la vie nous a placé en ce moment, doit devenir temple de la Parole de Dieu, tombeau vide et rayonnant de lumière, tabernacle ouvert d’où le Christ sort pour annoncer : je suis ressuscité ! Que les mots de l’évangile de cette nuit – « il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu » ne soient pas dits de nous !

Or, quand nous entendons le récit de la Résurrection, comment les femmes et les disciples apprennent que le tombeau est vide, nous sommes frappés par la peur, le défaitisme et l’état de tristesse que la « Bonne Nouvelle » doit traverser pour atteindre les esprits et les cœurs. Mais il n’y pas de confinement qui résiste à la venue du Ressuscité : il entre là où sont les disciples, malgré les portes fermées, il reste au milieu d’eux et il les invite à manger.

Comme est loin cette expérience, cette proto-célébration de Pâques, de notre façon habituelle de célébrer la Fête des fêtes. Nous ne devons pas creuser profondément dans notre mémoire pour nous souvenir de la « joie pascale » qui transforme les églises en lieux de fête, grâce aux cérémonies, aux chants, aux usages traditionnelles, etc. Tout cela, pour nous, est supposé transporter l’annonce de l’ange à Marie de Magdala : « Il est ressuscité, il n’est pas ici » (Mc 16, 6). C’est vrai que notre mémoire de la liturgie peut nous aider à visualiser la célébration et, grâce à cela, susciter en nous quelque chose comme un « sentiment de Pâques », tels que nous y sommes habitués. Mais ce sentiment-là – rappelons-nous bien – ne dure jamais très longtemps : ce « sentiment de Pâques », généralement, ne dure que quelques jours. À l’Ascension, « Pâques est déjà loin »… Quelle différence, de nouveau, avec l’expérience pascale des disciples, qui a radicalement changé leur vie.

Si nous sommes donc invités à nous exercer en une autre mise en pratique de la Parole et en une autre façon de célébrer Pâques, peut-être devons-nous en profiter pour exercer, pour ainsi dire, la « fine motorique » de notre mémoire. Sommes-nous encore attentifs au sens profond des récits de la Résurrection que nous transmettent les évangiles ? Les émotions, que provoquent en nous les textes bibliques et liturgiques de la fête, ont-elles un rapport avec notre vie quotidienne ? « Baptisés en Christ », que nous sommes, et l’ayant revêtu (Ga 3, 27), est-ce que nous le laissons entrer dans nos demeures, « toutes portes étant closes » et est-ce que nous nous efforçons à le reconnaître quand il rompt le pain (Lc 24, 30-31) ? Est-ce que chez nous la Parole « vient chez elle » (Jn 1, 11) ?

Pâques, avant d’être une fête annuelle où nous célébrons la mémoire de ce que le Christ est ressuscité, est une dynamique qui veut s’emparer de notre vie, de notre quotidien, de notre mission dans le monde, de notre communion entre nous et avec tous nos frères et sœurs en humanité. Pâques est l’incarnation en nous de la « Parole de Dieu », de ce même Logos par lequel le monde fut créé et par lequel le monde est sauvé aujourd’hui. Pour célébrer une pâque « selon Dieu », pour célébrer la Résurrection du Christ, Fils de Dieu, point n’est donc besoin d’aller à l’église… Oui, cela peut aider pour nous encourager ensemble à être du « nouveau levain » dans le monde. Mais quand ce n’est pas possible, il faut en profiter – c’est obligatoire ! – pour davantage intérioriser le mystère en nous, pour que quand nous pourrons sortir de nouveau de notre confinement ce sera vraiment avec une dynamique nouvelle et vraiment pascale « selon Dieu ».

Nous sommes contraints aujourd’hui à jeuner de la présence de tant de personnes que nous aimons et qui languissent de nous voir et de nous embrasser de nouveau. Mais nous ne sommes pas contraints à jeuner de la Parole. Puisse notre Parole – le Verbe dont nous sommes le tabernacle – ressusciter ceux et celles avec qui nous communions. Puisse notre Parole se transformer en présence, pour porter vie et amour à ceux qui ont peur, qui ont perdu courage, qui sont dans le deuil ou qui meurent. Beaucoup de nos « Le Christ est ressuscité » seront dits avec larmes. Pourvu que nous pleurons ensemble… afin de pouvoir aussi ensemble retrouver la joie. Or la joie, la joie d’une pâque « selon Dieu », commence là où la vie véritable est donnée en partage. Que notre « Le Christ est ressuscité » puisse devenir un chant nuptial avec lequel nous embrassons l’autre dans son être.

Le Christ est ressuscité !