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Jeudi Saint

Jeudi Saint : fête de communion
1 Co 11,23-32 / Mt 26,2-19; Jn 13,3-17;
Mt 26, 21-39; Lc 22,43-44; Mt 26,40 – 27,2.


Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,
Frères et sœurs,
Le Jeudi Saint est la fête de notre communion avec Dieu.
Tout d’abord, vous le savez, c’est le jour où le Seigneur Jésus s’est offert totalement à nous, corps et âme, toute sa personne, comme une nourriture vitale : il nous a offert son Corps brisé et son Sang versé, le Sang de l’Alliance, “versé pour la multitude – c’est-à-dire pour l’humanité toute entière – et pour la rémission de des péchés”. Toute la souffrance des jours prochains – la trahison d’un de ses disciples, les moqueries, l’incompré¬hension, les tortures, la croix et la mort, infligées par les hommes – toute cette souffrance il l’a assumé pour descendre dans l’enfer du cœur de l’homme, pour l’en libérer et le faire vivre en lui, pour toujours. Cette grande libération et cette nouvelle vie sont contenues dans les simples paroles prononcées par Jésus sur le pain et le vin au cours de la dernière Cène : “Prenez, mangez, ceci est mon corps” et “Buvez-en tous, de cette coupe, car ceci est mon sang”. Et chaque fois que nous les entendons au cours de la Liturgie, et chaque fois que nous commu¬nions aux Saints Dons, avec foi et amour, nous avons réelle¬ment part à cette nouvelle vie en Dieu.
Saint Jean, lorsqu’il relate dans son évangile le dernier repas de Jésus avec ses disciples, ne mentionne pas ces paroles eucharistiques sur le pain et le vin. Il raconte, par contre, un autre événement, aussi inattendu que bouleversant, que nous ne trouvons pas chez Marc, Matthieu ou Luc : c’est le lavement des pieds. Or, ce geste de Jésus exprime, d’une autre manière encore, le même mystère, le même sacrement, la même commu¬nion. Elle exprime aussi l’attitude que nous devons avoir entre nous pour pouvoir communier dignement au Corps et au Sang de Jésus, pour avoir part à cette vie divine qui nous est offerte en Lui. Et c’est sans doute la raison pour laquelle ce récit du lavement des pieds, de l’évangile de Jean, a été inséré ce matin dans la longue lecture évangé¬lique d’après Matthieu (au ch. 26), juste avant l’annonce de la trahison et la bénédiction eucharistique sur le pain et le vin.
Ce que saint Jean nous raconte est vraiment inouï : au cours de ce dernier repas, Jésus se lève de table, sans rien dire il met un linge – sorte de tablier – et il se met à laver les pieds de ses disciples, puis à les essuyer. Il fait ce que même un esclave juif ne devrait pas faire. Il se met devant ses disciples, et sans rien leur expliquer, à la place d’un esclave païen. Les premiers disciples laissent faire, apparem¬ment. Mais arrivé chez Pierre, le prince des apôtres, celui-ci lui dit : pas question, “tu ne me laveras pas les pieds!”. Pierre ne peut accepter que son Maître et Seigneur se met à cette place-là. Ce n’est non seulement humiliant pour Jésus et indigne de lui : ce l’est aussi pour Pierre, qui accepterait une telle humiliation.
Alors, Jésus lui explique : “si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi”. Ta communion avec moi, c’est tout ou rien, à prendre ou à laisser! La hiérarchie chrétienne n’est pas celle du monde, c’est une fraternité, un Corps, “où l’esclave n’est pas plus grand que son maître, ni l’envoyé plus grand que celui qui l’envoie”. Tout est bouleversé! Si Jésus est appelé “Maître et Seigneur”, c’est bien, mais c’est justement parce qu’il est capable de se mettre à la dernière place, et à genoux. Et nous aussi, nous dit Jésus, nous devons nous laver les pieds les uns aux autres, pour être digne de Lui. Ce n’est qu’ainsi que nous devenons le Corps du Christ. Mais comme la réaction de saint Pierre nous l’a montré, il est parfois aussi difficile de se laisser laver, servir, aimer, toucher, pardonner que de servir, aimer, toucher et par¬don¬ner soi-même. Encore après la Résurrection, Jésus dira à Pierre : “En vérité, en vérité je te le dis, quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture et tu allais où tu voulais; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui mettras ta ceinture et te mènera où tu ne voudrais pas” (Jn 21,18). Cette acceptation va jusqu’à la mort, jusqu’à la Croix!
Il y a dans l’évangile encore un autre endroit, où on parle d’un lavement de pieds au cours d’un repas. Il s’agit d’un passage de l’évangile de Luc (Lc 7,36-48) auquel les textes liturgiques des derniers jours ont fait souvent allusion. Pendant que Jésus était à table dans la maison d’un pharisien, une pécheresse notoire de la ville était entrée pour s’approcher secrètement de Jésus, lui arroser les pieds de larmes, les couvrir de baisers et les embaumer de parfum. Ici, c’est le maître de la maison qui est scandalisé. Mais Jésus voit dans ces preuves d’affec¬tion et d’amour de cette femme le signe qu’elle ait été par¬don¬née. Les textes liturgiques des derniers jours mettent cet événement en rapport avec l’onction de Jésus à Béthanie, (Mt 26,6-13; Mc 14,3-9; Jn 12,1-8), “six jours avant la Pâque”, onction qui avait tellement scandalisé certains disciples (et notamment Judas) mais que Jésus avait expliquée “en vue de sa sépulture”. Pardonnée par son repentir et purifiée par ses larmes, la pécheresse anticipe ainsi le lavement des pieds par Jésus, elle reconnaît en lui le Christ (l’Oint du Seigneur) et elle se met déjà au rang des Myrophores (Cf. les Doxastikon de Kassiani aux Vêpres du Mercredi Saint : “Seigneur, la femme tombée dans une multitude de péchés reconnut ta divinité et de myrophore elle prit le rang…”).
C’est ainsi, frères et sœurs, que nous aussi, en ces jours de la Passion, nous pouvons nous demander : quelle aurait-été ma place dans ces événements? Où est-ce que je me tiens devant Jésus et devant mes frères? Est-ce que je me tiens debout, face à lui, comme un juge? A genoux en pleurant, comme la pécheresse? Ou en lavant ses pieds, en mettant du baume sur son cœur, l’aidant à se relever? Allongé à la table du Seigneur, comme un disciple? Ou déçu, comme Judas, en lui tournant le dos? Suivons Jésus, jusqu’au bout, sur ce chemin qui descend, qui descend dans l’abîme de notre cœur, pour en remonter avec Lui vers une vie nouvelle. Amen.