Le mont des Oliviers … Puissance évocatrice du nom pour tout chrétien, pour tout juif aussi. Pour les chrétiens, ce lieu évoque d’abord Gethsémani, le jardin de l’agonie, mais aussi ce jardin où Jésus se retirait et se retrouvait avec ses disciples (cfr Jn 18, 2). Pour les juifs, le mont des Oliviers, à l’est de Jérusalem, du côté où le soleil se lève, est le lieu du Jugement universel. C’est par là que Dieu viendra. Vision grandiose que le prophète Zacharie décrit au dernier chapitre de son livre : « Voici qu’il vient le jour du Seigneur … En ce jour-là, ses pieds se poseront sur le mont des Oliviers qui fait face à Jérusalem vers l’Orient. … Alors le Seigneur sera roi sur toute la terre ; en ce jour-là, le Seigneur sera unique, et son nom unique. » (Za 14, 1. 4. 9) Vision des temps messianiques dont s’est sans doute souvenu Matthieu pour décrire l’entrée de Jésus à Jérusalem à la lumière de la Résurrection, une fois la royauté définitivement acquise par-delà la mort en croix.
C’est bien en référence au prophète Zacharie (9,9) que, dans une exhortation solennelle empruntée, elle, au prophète Isaïe (62, 11), l’évangéliste Matthieu annonce la venue du roi-messie qui, Fils de David, recouvre les figures du roi-berger et du roi-prophète : « Dites à la fille de Sion : Voici ton roi qui vient vers toi, plein de douceur, monté sur une ânesse et un petit âne, le petit d’une bête de somme » (Mt 21, 5). Investiture royale du Fils bien-aimé sur fond de Béatitude : « Heureux les doux, car ils posséderont la terre » (Mt 5, 4). Vision universaliste qui fait éclater le carcan des politiques locales. Pour Zacharie, cette manifestation eschatologique a pour cadre la fête de Sukkôt, la fête des Tentes, qui commémore le séjour des Hébreux au désert, à leur sortie d’Égypte, et qui a fini par célébrer la royauté universelle du Seigneur.
Or plusieurs éléments du récit de Matthieu, - les branchages, la citation du psaume 117 (118) « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » et l’acclamation Hosanna plusieurs fois répétée, et les foules transportées d’allégresse, - nous incitent à croire que l’entrée de Jésus à Jérusalem s’est située lors de la fête des Tentes, et non pas quelques jours avant la Pâque, comme le dit l’évangéliste Jean et comme nous la célébrons aujourd’hui. Autrement dit, Jésus n’est pas entré à Jérusalem quelques jours avant sa Passion, mais six mois avant, la fête des Tentes étant une fête d’automne, et Pâques une fête de printemps. Que cela ne nous trouble pas. Pour Jésus, le but ultime demeure le même : mourir à Jérusalem ! Et cela afin d’y accomplir, d’y achever son ministère prophétique et de manifester le salut de Dieu pour son peuple et pour tous les peuples.
Jésus arrive à Jérusalem au terme d’un périple qui l’a conduit à travers la Galilée et la Décapole où il a enseigné et guéri toutes sortes de maladies. Conformément aux trois annonces de la Passion qui ont ponctué les dernières étapes de son itinéraire, il y vient pour accomplir les Écritures puisqu’ « un prophète ne peut mourir hors de Jérusalem » (Lc 13, 33). C’est également au cours de cette montée qu’il est transfiguré tandis que l’on célèbre la fête de Sukkôt, comme le laisse entendre la proposition de Pierre de construire trois tentes. Qu’il soit permis de penser que c’est pendant cette même fête, qui dure huit jours, que Jésus entre à Jérusalem, précédé et suivi d’une foule nombreuse qui n’est autre que la foule habituelle qui se déplace pour cette fête de pèlerinage la plus populaire, et trouve en Jésus, « le prophète de Galilée » dont certains ont vu les miracles, une raison de plus de se réjouir, l’allégresse étant le maître-mot de cette fête.
« Comme Jésus entrait à Jérusalem, toute la ville fut en proie à l’agitation » (Mt 21, 10). Certains ont vu dans cette agitation un émoi semblable à celui qui saisit Hérode et tout Jérusalem avec lui (cfr Mt 2, 3), à l’arrivée des mages cherchant le roi des Juifs pour l’adorer, prélude au massacre des innocents. La présente agitation laisserait-elle présager de la mort de l’Innocent par excellence ? Si ça n’est pas encore le cas, ça ne tardera pas à l’être puisque c’est au terme d’une confrontation toujours plus aiguë, que grands prêtres et scribes prétexteront vouloir éviter les troubles dans la foule et l’intervention de l’occupant romain, et que Jésus sera livré et entrera librement dans sa Passion pour être mis à mort et verser son sang pour le salut de tous, afin que Dieu son Père, souverain universel, soit tout en tous (cfr 1 Co 15, 28).