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Nuit de Pâques 2017

Christ est ressuscité!

 

Nous voici arrivés, une autre année, à la nuit de Pâques, nuit resplendissante qui réjouit nos cœurs – et non pas seulement parce que nous avons le Carême et la Semaine Sainte derrière nous… Car en cette nuit la Lumière l’emporte sur les ténèbres: la Lumière – phénomène qualitative plus que quantitive, exactement comme la vie qui est et qui ne peut pas ne pas être – cette Lumière s’est attachée à notre être, nous a pris fermement par les mains et, sans plus jamais nous lâcher, nous tire hors des ténèbres, hors des “griffes des enfers”, hors de l’emprise de la mort, hors du non-être. Ainsi, notre résidence est dans la Lumière: non dans le sens où nous y serions installés comme on s’installe dans un appartement, mais dans le sens où la Lumière nous communique ses caractéristiques essentielles qui, graduellement, nous transfigurent nous-mêmes en Lumière. Et ces caractéristiques sont qualitatives plus que quantitatives: comme dans notre vie le nombre d’années a moins d’importance que comment nous les avons vécues, ainsi dans la Lumière ce qui importe n’est pas le fait d’être ‘un peu lumière’ de façon constante, mais de participer – de communier – à la dynamique de la Lumière. La Lumière ne stagne pas, elle consiste dans une constante propagation qui attire, embrasse et épouse plus qu’elle n’envahit, domine et violente. Dans ce sens, elle est moins comme une phare qui expulse une caricature repoussante et effrayante de lumière – comme dans les camps de concentration, où la lumière est un ennemi – que comme une lampe qui révèle et invite – comme les bougies, les lampes d’icône ou même l’éclairage douce, harmonieuse et engageante des chemins et des maisons. Participer à la dynamique de la Lumière signifie pour nous d’avoir notre source au plus profond de notre être, là où notre vie est communion au principe divin de la Vie, et de ne vivre que comme jaillissement de cette source-là. Ainsi, nous avons été insérés dans un narratif qui s’appelle “Vie”, “Salut”, “Paix”, “Christ”, “Résurrection”, “Lumière” – narratif qui nous transforme en lui-même et qui par nous est transmis, irradié dans le monde.

 

Voici la Lumière dont nous nous réjouissons en cette nuit, voici la Lumière que nous avons chantée et louée et dont nous nous sommes entourés dans cette église. “Maintenant tout est rempli de Lumière, le ciel et la terre et les enfers!”, avons-nous chanté aux matines. Pour rendre manifeste que toute puissance a été remis à la Lumière dans le ciel et sur la terre, nous avons rempli l’église de bougies pour qu’il n’y ait plus la moindre obscurité.

 

Et pourtant, comme nous sommes conscients de ce qu’il suffit de mettre un pas dehors pour être envahis par les ténèbres… Comme nous avons de la peine à sentir la Lumière nous traverser, ou même seulement à nous sentir touché par elle au delà de la surface de la peau, pour ne pas parler de l’idée d’avoir la Lumière comme source de notre être. “Maintenant tout est rempli de Lumière”… Quelle est cette Lumière? Où sera-t-elle quand nous aurons éteint nos lampes et nos bougies? Qu’est-ce que c’est vraiment comme phénomène?

 

En effet, notre nuit est pleine de contrastes. Non seulement nous sommes bien conscients des ténèbres qui nous entourent, mais même au sein de cette nuit lumineuse les ténèbres étaient bien présentes. Dans la lecture de l’Évangile nous avons entendu que la Lumière – “la Lumière des hommes”, c’est-à-dire leur Vie – a brillé dans les ténèbres mais que les ténèbres ne l’ont pas reçue. Un peu plus loin il est dit que la Lumière véritable, c’est-à-dire le Verbe par qui nous avons été créés, est venu dans le monde mais que le monde ne l’a pas reconnu. Et une troisième fois: “il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu”.

 

Qu’en est-il donc de ce triomphe de la Lumière? Qu’est-ce qu’elle remplit si même les siens ne l’ont pas reçu? Pourtant, selon l’Évangile, certains l’ont bien reçu, à savoir “ceux qui croient en son nom”: à ceux-là le Verbe, la Lumière, a donné “pouvoir de devenir enfants de Dieu”. Vivre de la Lumière, recevoir le Verbe, reconnaître le Créateur est donc du domaine de la foi et, ainsi, par essence un cheminement et une croissance, à l’image de la Lumière elle-même qui se propage inlassablement.

 

La Lumière de cette nuit de Pâques, la Lumière qui nous entoure, est donc à la fois une icône de la Lumière du Christ et de notre propre Lumière, c’est-à-dire de la Vie du Christ en nous. En effet, il ne suffit pas de nous réjouir de ce que le Christ est ressuscité, de ce que la Lumière a brillé dans les ténèbres. Car “les ténèbres ne l’ont pas reçu”… Notre réjouissance doit concerner notre propre insertion dans cette narrative, le fait que nous sommes nous-mêmes ressuscités, que la Lumière brille sur nous et au-dedans de nous, que nous sommes Lumière dans la Lumière et au service de la Lumière.

 

Voici une mission et un ministère bien redoutables… Qui de nous est vraiment ressuscité? Qui vit de la Lumière que Dieu a fait briller dans nos cœurs? Nos ténèbres ne sont-elles pas trop opaques pour que notre foi puisse jamais ressembler à une narrative véritable, à quelque chose qui va au-delà d’une piété contemplante individuelle? Comment faire pour que notre manque de foi ne devienne l’obstacle principale à l’œuvre du Verbe et à notre propre illumination?

 

Ici notre église illuminée, icône de la Lumière du Christ et de notre propre Lumière, vient à notre aide. En ce moment, en effet, deux endroits n’ont pas été pénétrés par la Lumière, deux endroits justement vers lesquels nos prières étaient dirigés et que l’on pourrait désigner comme le cœur de l’église: l’espace en dessous de l’autel et la lanterne qui surmonte la coupole – le milieu du paradis et le plus haut du ciel. Car la Lumière ne luit pas seulement dans les ténèbres mais elle brille du sein des ténèbres. Notre narrative de foi, la narrative de la Lumière dans laquelle nous sommes insérés, n’a pas besoin de nos sécurités ni de notre propre lumière qui, d’ailleurs, ressemble trop souvent à une phare plus qu’à un luminaire: elle n’a pas besoin d’une quantité de bonnes dispositions et d’attitudes pieuses mais de la qualité de foi, d’espérance et d’amour dans notre cœur. Dans ce sens, “la Lumière luit dans les ténèbres” signifie que le Verbe cherche les cœurs aimants qui espèrent et qui croient que du sein de leurs ténèbres la Lumière puisse jaillir en amour qui se propage.Voici le mystère de notre Résurrection, de notre Salut et de notre filiation divine. Voici le mystère de notre fraternité dans le Christ ressuscité, dans notre foi, dans notre amour… et dans nos ténèbres.

 

Quand nous nous saluons en disant : “Le Christ est ressuscité!”, en réalité nous disons donc: “Tu es ressuscité!”, ce qui est à la fois une prudente interrogation, un ferme souhait, une admonition fraternelle et une jubilation croyante. La réponse: “Il est vraiment ressuscité!” exprime notre insertion dans cette grande narrative de notre Salut et notre prière de devenir des hommes et des femmes plus aimants, plus vivants, plus Lumière qui brille dans les ténèbres.

 

Christ est ressuscité!