Nous avons été plongés dans la mort de Jésus pour que nous vivions une vie nouvelle (Rom 6,3-11)
Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,
Frères et sœurs,
Par les Vêpres et la Liturgie de ce matin, nous sommes entrés déjà dans la longue vigile pascale qui se poursuivra ce soir et jusqu’aux premières heures de la nuit. Vous l’avez remarqué : les couleurs liturgiques ont changé de noir en blanc, la lumière a chassé les ténèbres, l’église est couverte de feuilles vertes du printemps, et nous avons été arrosés d’un parfum qui nous rappelle les saintes femmes Myrophores venues embaumer le corps de Jésus, qu’elles n’ont pas trouvé. Et dans l’évangile nous avons enfin et déjà entendu ces paroles de l’ange : « je sais que vous cherchez Jésus, le Crucifié. Il n’est pas ici : il est ressuscité, comme il l’avait dit… hâtez-vous d’aller le dire à ses disciples : il est ressuscité des morts ! », des mots que nous allons répéter sans fin pendant tout le temps pascal.
Les nombreuses lectures de l’Ancien Testament, que nous avons entendues ce matin, font partie – depuis l’Antiquité – de la catéchèse des nouveaux baptisés la nuit de Pâques, et elles continuent à nous instruire sur le sens du baptême et sur le sens de la résurrection dans notre vie de chrétiens. Saint Paul nous l’a rappelé aussi : « Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés… Nous avons été ensevelis avec lui dans la mort… pour que nous vivions avec Lui une vie nouvelle » (Rom 6,3-11).
Ces derniers jours, en effet, comme chaque année, nous avons été de nouveau – et combien de fois ! – « plongés » (baptisés) dans la mort de Jésus. A chaque lecture, à chaque tropaire que nous avons chanté, nous avons été immergés dans ses souffrances et dans sa mort. Dans les souffrances aussi de l’humanité… pour que nous menions une vie nouvelle, pour que nous devenions un seul être avec Lui (sym-phytoi gegonamen, v.5). L’immersion dans sa mort, chaque année, pendant des heures, nous bouleverse. Déjà l’expérience de la mort d’un être cher (d’un ami, d’un membre de la famille) peut nous changer radicalement, elle peut nous mener à aimer autrement, à sortir de nous-mêmes pour entrer dans le cœur de l’autre, dans le mystère de la vie et de l’amour, elle peut nous mener à vivre autrement. Mais se plonger dans la mort de Jésus, être « baptisé » en lui, ça va plus loin. Car cela nous fait mourir aussi, avec Lui, pour une vie au-delà de la mort, une vie radicalement nouvelle et différente, une vie en Lui. Et c’est ce que nous font pressentir les nombreuses lectures de ce matin, qui vont de la création (dans le livre de la Genèse) à la nouvelle création en Dieu, dans le Christ, à travers la mort, notre mort.
Chaque lecture nous l’a suggéré à sa manière :
La séparation de lumière et des ténèbres, du ciel et de la terre fertile, au trois premiers jours de la Genèse.
L’évocation de Jérusalem – ville de la paix ! – illuminée par la gloire de Dieu et « dont les portes seront toujours ouvertes ».
Le repas pascal en Egypte, qui est un départ, debout, pour une nouvelle vie, libérée de l’esclavage.
La compassion successive de Dieu pour les marins dans la tempête, pour Jonas en prière dans le ventre de la baleine, pour les Ninivites repentants « qui ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche… et pour une foule d’animaux ! ».
Compassion aussi pour son propre peuple murmurateur qui aurait préféré l’esclavage en Egypte plutôt que de mourir dans le désert, mais que Dieu sauve en précipitant « les chars et les cavaliers de pharaon » dans l’abîme de la Mer.
Bénédictions surabondantes pour Abraham, qui avait accepté d’aller jusqu’au bout de sa foi et de son abaissement en offrant Isaac, son fils unique et sa seul richesse, obtenu miraculeusement de Dieu dans sa vieillesse… car, disait-il, « Dieu pourvoira bien à l’Agneau pour l’holocauste ».
La rosée céleste au milieu de la Fournaise ardente, qui fait chanter les trois jeunes gens à Babylone avec toute la création, et avec nous.
Et enfin : le prophète Isaïe qui proclame la « bonne nouvelle » de l’Esprit du Seigneur qui repose sur son Serviteur, et par Lui, sur les pauvres, les cœurs meurtris, les aveugles, les affligés en deuil et au désespoir. Désormais, c’est à eux de « rebâtir les ruines antiques, de relever les débris du passé, de restaurer les villes détruites et dévastées depuis des siècles » et d’y faire régner l’Esprit pour « une alliance éternelle ».
Ce que beaucoup de ces textes, de l’Ancien comme du Nouveau Testament d’ailleurs, ont en commun, on pourrait le dire ainsi : là où s’arrêtent nos possibilités humaines, c’est là que commencent celles de Dieu. Jésus lui-même l’a montré à partir du premier miracle, aux Noces de Cana, jusqu’au tombeau vide. Quand, le matin de Pâques, les femmes se demandent, comment elles vont rouler la pierre du tombeau, Dieu a déjà agi. Chaque fois que nous pensons « ne pas avoir », « ne pas pouvoir », « ne pas connaître », « ne pas comprendre », nous recevons une seule réponse : « ne crains pas, car rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1,37), « ne crains pas, crois seulement » (Mc 5,36), « tout est possible à celui qui croit » (Mc 9,23). Ce sont souvent notre vide, notre pauvreté reconnue, qui permettent à Dieu de créer du neuf, comme lors du chaos initial. Chaque fois, Dieu nous dit, comme au repas pascal : Prenez, recevez, ceci est mon Corps, ceci est mon Sang, ceci est ma Vie, versée pour vous et pour la multitude, voici mon pardon, voici mon amour, voici ta guérison ! Il nous demande seulement, non pas de comprendre ou de conquérir, mais de recevoir, de recueillir cette vie divine qui nous transforme, nous refait, nous re-crée, nous renouvelle radicalement. C’est notre manière de vivre notre baptême et de participer à sa mort et à sa résurrection, de nous plonger dans le Christ pour vivre avec Lui. Amen.