Categories

Théophanie 2017

(Tite 29,11-14 et 3,4-7; Mt 3,13-17)

« Laisse faire maintenant : c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice » (Mt 3,15). Le baptême de Jésus au Jourdain est pour nous l’occasion de nous interroger sur ce qu’est la “justice de Dieu”.

Aux yeux des hommes, tout comme dans l’AT, d’ailleurs, la “justice” consiste à “rétablir l’équilibre”, éventuellement en infligeant au coupable un mal équivalent au mal qu’il a commis. C’est ainsi qu’on voit l’image d’un Dieu vengeur, qui se met en colère, qui « punit les péchés des pères sur leurs descendants jusqu’à la 3e ou 4e génération »… Jésus nous apprend que tout cela n’était qu’une vue humaine de Dieu, un “dieu construit par l’homme à sa propre image et ressemblance”, et qui comprenait la “justice” comme la comprennent les hommes. Or, le Dieu que Jésus nous révèle, c’est le Dieu « qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tim 2,4), qui ira dans la montagne rechercher la brebis perdue, et qui attendra tous les jours le retour de l’enfant prodigue jusqu’à ce que celui-ci revienne spontanément.

En fait, la compréhension qu’a Dieu de la “justice” n’est pas étrangère au concept de justice tel que nous l’imaginons, elle est tout simplement infiniment plus profonde, car elle s’enracine dans l’amour infini de Dieu. Et le baptême de Jésus au Jourdain l’exprime en acte, tout comme Jésus l’expliquera plus tard en paroles. Car ce que Dieu veut, c’est en effet « rétablir la situation originelle », celle qui existait à l’origine, quand Dieu créa l’être humain « à son image et selon sa ressemblance », afin qu’il soit pour Dieu un partenaire, et non un esclave.

Revenons un moment à l’épisode de la Genèse. Adam et Ève ont été créées par Dieu libres, et ils conversaient librement avec Dieu, presque comme des égaux. Mais tout à coup ils se cachent en entendant ses pas. Ils ont peur parce qu’ils se sont rendu compte qu’ils étaient nus.  Peur de qui ? Dieu ne leur a encore adressé aucun reproche ! C’est à l’intérieur d’eux-mêmes que se situe le blocage : ils savent qu’ils ont désobéi, et ils ont dès lors peur que Dieu se venge de leur désobéissance ! Or, qu’en savent-ils ? Ils essaient de penser à la place de Dieu... et bien sûr dès lors ils pensent un Dieu à mesure humaine, un Dieu qui agirait comme eux-mêmes le feraient s’ils étaient à sa place ! La réplique de Dieu est inévitable: « Qui t’a dit que tu étais nu ? » — on peut traduire: « Comment peux-tu savoir que cela me dérange, que tu sois nu, alors que tu l’as toujours été et que je n’ai jamais rien dit à ce propos, puisque c’est ainsi que je t’ai créé ? et pourquoi toi-même en es-tu troublé à présent, alors que tout allait bien jusqu’alors ? » Mais le dialogue entre Dieu et sa créature est devenu impossible, non pas à cause d’une soi-disant “colère de Dieu”, dont il n’est nulle part question dans la Genèse ! (Même lorsque Caïn tue Abel, il n’est pas dit que Dieu était “irrité” — cela est dit du seul Caïn, qui était jaloux de son frère —, mais Dieu dit: « le sang de ton frère crie vers moi depuis le sol ! » Gn 4,10). C’est à cause du blocage intérieur d’Adam et Ève que le dialogue est devenu impossible : ils ont conscience d’avoir désobéi, et à cause de cela ils n’arrivent plus à “entendre” ce que Dieu leur dit, ils interprètent les paroles de Dieu à l’aune de leur propre compréhension humaine ou, pour le dire autrement, ils “se fabriquent un dieu imaginaire”, qui n’existe que dans leur tête et qui y a pris la place de Dieu. Ils sont devenus incapables d’entendre en vérité la Parole de Dieu...

Alors, parce que Dieu veut rétablir un vrai dialogue avec l’être humain, Il fait lui-même pas seulement « un pas », mais « tous les pas » pour aller vers sa créature pécheresse et se mettre à son niveau, afin qu’elle puisse à nouveau L’entendre, Le comprendre et — c’est le plus cher désir de Dieu — accepter librement le pardon de Dieu, accepter d’être sauvée. Et pour cela, le Verbe de Dieu (la Parole qu’Il adresse à l’humanité) s’est fait chair, est devenu lui-même un être humain, et va demander le baptême de repentance à Jean dans le désert, comme s’Il était lui-même pécheur, lui qui seul est sans péché. En demandant à Jean d’être baptisé par lui dans le Jourdain, Jésus a pris sur lui la totalité de notre condition humaine, Il s’est fait s’est fait “pécheur avec les pécheurs”, « en devenant lui-même malédiction à notre place » (Gal 3,13). Et cela pour que nous, êtres humains, puissions entendre sa voix non pas “venue d’en-haut” — puisque, à cause du péché d’Adam, l’humanité n’est plus capable d’entendre correctement la Parole de Dieu — mais que nous l’entendions dite par quelqu’un qui se comporte comme s’Il était pécheur, qui s’est mis à notre niveau, et qui nous annonce en paroles humaines que Dieu est comme un Père qui attend le retour de son fils perdu (parabole de l’enfant prodigue), qu’Il est comme le berger qui parcourt la montagne pour aller chercher la brebis perdue, qu’Il n’a d’autre souci que de nous rendre la vie...

Mais le salut n’est pas “automatique”, car sinon nous ne serions plus libres, nous perdrions la principale caractéristique que Dieu avait donnée à Adam et Ève en les créant ! Pour être sauvés, il nous faut “passer par le baptême”. Ce rite est bien entendu un symbole : on lave le corps à l’eau, afin de signifier que c’est toute la personne, et surtout la personnalité spirituelle, “l’âme”, qui doit se purifier du péché afin que l’être humain soit à nouveau capable d’entendre et de comprendre correctement la Parole que Dieu nous adresse. Le baptême de Jean était un signe de conversion : ceux qui le demandaient signifiaient par là leur intention de “changer de vie”, d’abandonner leur vie de péché et de faire de leur mieux pour mener désormais une vie agréable à Dieu. Dans l’Église, ceux qui demandent le baptême (ou pour qui on le demande, si ce sont de petits enfants) manifestent la volonté de mener autant que possible une vie conforme à ce que Jésus a enseigné. Certes, nous savons que nous sommes faibles et pécheurs, et que nous risquons de retomber dans les fautes que nous avons déjà regrettées et confessées bien des fois. Mais, justement, Jésus n’a-t-Il pas enseigné à pardonner « 77 fois 7 fois » ? Ne sera-t-Il pas le premier à pardonner chaque fois à nouveau, pourvu que nous « revenions à Lui de tout notre coeur » ? Son plus grand désir n’est-il pas que nous soyons à nouveau capables de “converser avec Lui” comme Adam et Ève au paradis ? Si le Christ est mort pour nous, Il est aussi resssuscité pour nous. Car telle est la « justice de Dieu » : Il a livré son propre Fils à la mort pour que nous puissions ressusciter avec Lui. Pour que, à nouveau, nous puissions entrer au paradis !