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Nuit de Noël, 2016

C’est Noël ! … C’est Noël, et c’est aussi dimanche !

Heureuse coïncidence qui nous rappelle que tout commence au tombeau vide ! En se superposant à cette Pâques hebdomadaire qu’est le dimanche, la fête annuelle de la Nativité du Seigneur nous plonge d’une façon toute particulière au cœur du mystère d’un Dieu en qui tout est commencement et nous en fait pressentir l’unité. Le Mystère est un ! C’est dans la lumière de la Résurrection que se forme, comme à rebours, la conscience chrétienne. Et c’est Jésus lui-même, Jésus ressuscité, qui nous en donne la clef quand, au cénacle ou sur le chemin d’Emmaüs, « commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes » (Lc 24. 27 ; cfr Lc 24. 44-45), il interprète pour ses disciples ce qui le concerne « dans toutes les Écritures » (Lc 24.27) et leur ouvre ainsi l’esprit à leur intelligence (Lc 24. 45).

S. Luc, l’évangéliste qui insiste le plus sur cette relecture des Écritures, nous suggère en quelques traits combien les deux événements (Noël et Pâques) sont proches et se renvoient l’un à l’autre : la présence des anges, la lumière fulgurante qui les entoure, la crainte des témoins (qu’il s’agisse des femmes ou des bergers), l’absence de lieu où naître (il n’y a pas de place dans la salle commune) et de sépulcre où déposer le corps du crucifié, les langes et le linceul, la joie émanant de l’annonce de la bonne nouvelle du salut, la Vie partout présente. De son côté, S. Paul, parlant de la résurrection de Jésus (Ac 13. 33), n’hésite pas à employer ce verset du psaume 2 que nous venons de chanter : « Tu es mon fils, moi aujourd’hui je t’ai engendré » (Ps 2.7). Génération éternelle du Verbe de Dieu, et génération temporelle de ce même Verbe fait chair. L’une éclaire l’autre, l’incarnation se fait en vue de la résurrection. Le but est unique : donner la vie et la donner en surabondance (cfr Jn 10. 10).  

 Cette lente prise de conscience suit aussi une certaine logique, et même une logique implacable : celui qui est ressuscité a dû mourir, et pour mourir, il a dû naître. Et voilà qui fait passer nos cœurs lents à croire, comme l’étaient ceux des disciples, du tombeau à la mangeoire. C’est une remontée du temps qui nous dépouille de toutes nos illusions, de tous nos rêves de grandeurs et de pouvoir à quelque échelle qu’ils soient, et qui libère nos cœurs pour les rendre accueillants à cet enfant qui vient de naître, à ce fils qui nous a été donné (Is 9. 5), et qui n’est autre que le Fils du Très-Haut (Lc 1.32). En lui, Dieu, qui jusque-là ne se voyait que de dos et pour ainsi dire de loin, se laisse voir de près et même toucher. « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nous avons touché du Verbe de vie – car la Vie s’est manifestée … » témoigne S. Jean (1 Jn 1. 1). Dieu, jamais insensible aux souffrances de son peuple et à ses appels, se laisse toucher de façon palpable. Il se laisse toucher, et si j’ose dire, Il se laisse prendre … Il se laisse prendre dans les bras comme un enfant, comme le bien-aimé ; à Gethsémani, il se laisse prendre par les gardes venus l’arrêter, et finalement mort sur la croix, il se laisse prendre par ceux qui l’en dépendent. Il se laisse prendre … comme tout à l’heure, il se laissera encore prendre sur l’autel, sous les espèces du pain et du vin, son Corps et son Sang répandu pour la vie du monde.

Arrivés à ce point, ‒ la naissance de Jésus, ‒ nous pouvons repartir de l’avant, et « attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ » (Tite 2. 13), parcourir à nouveau toutes les étapes de sa vie, ‒ comme nous allons d’ailleurs le faire tout au long de l’année liturgique, ‒ en prenant ou reprenant graduellement conscience que tout dans la vie de Jésus a une dimension pascale, que tout est passage. Toutes les guérisons du corps et de l’âme qu’il réalise sont autant de signes du salut qui nous est donné en lui, par la puissance de l’Esprit Saint, car en lui, Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu.

Nous pouvons reparcourir toutes les étapes de la vie de Jésus en nous mettant à son écoute et à sa suite, et en l’imitant. Écouter Jésus, suivre Jésus, imiter Jésus, ce n’est pas là seulement de grands et beaux thèmes de la spiritualité chrétienne, mais bien les attitudes fondamentales de toute vie de baptisé. « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut pour tous les hommes, nous enseignant à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde … » (Tt 4. 11). Mettons-nous donc à l’école de la grâce, et suivons Jésus, imitons-le, « lui qui a passé en faisant le bien » (Ac 10. 38).  Dieu nous a ouvert la voie, à travers la vie et à travers la mort. Dieu s’est laissé prendre, laissons-nous prendre à notre tour.

Et pour ne pas brûler les étapes, ‒ car enfin, nous sommes toujours à Noël, ‒ laissons-nous d’abord toucher par cet enfant qui repose emmailloté dans une mangeoire, partageons la joie des anges et l’adoration des bergers, et renonçant « aux convoitises du monde » (Tt 4. 11), ou si vous voulez, déposant tout souci du monde comme le chante la liturgie byzantine, laissons-nous pénétrer par « la grâce de Dieu qui s’est manifestée » (Tt 4.11). Que nous puissions nous dire, en contemplant l’enfant de Bethléem : « notre cœur n’est-il pas tout brûlant au-dedans de nous … ?» (Lc 24. 32) et que nous puissions nous en retourner, « glorifiant et louant Dieu pour tout ce que nous avons vu et entendu » (Lc 2. 20), que nous puissions nous en retourner annoncer à nos frères et sœurs en humanité : « aujourd’hui, vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur » (Lc 2.11) !