La fête qui nous réunit en ce jour est la Théophanie du Seigneur: sa manifestation divine. Nous célébrons que le Seigneur Jésus vint au Jourdain, qu’Il fut baptisé par Jean le Baptiste dans les eaux du Jourdain, qu’au moment où Il sortit et monta de l’eau les Cieux se déchirèrent au-dessus de Lui pour laisser passer l’Esprit Saint qui descendit sur Lui, tandis qu’une voix retentit qui disait: “Celui-ci est mon Fils bien-aimé qui a toute ma faveur”.
Ce n’est donc pas simplement le Baptême du Christ dont nous faisons mémoire mais le mystère tout entier de sa personne – qui est une Théophanie – dont le Baptême proprement dit, geste rituel qui relève du langage et de la symbolique des hommes, est le point de départ. Oui, la Théophanie est bien un mystère et tout ce qu’elle touche, tout terrestre que cela puisse être, devient mystère aussi. Car un mystère n’est pas seulement une chose secrète, mais un secret dans sa révélation, un secret que se révèle à ceux qui l’accueillent avec foi et qui s’en font imbiber. Dans l’événement du Baptême du Christ, le mystère de sa personne se donne en communion au monde à travers la manifestation de la présence du Dieu-fait-homme au sein de sa propre Création. Nous ne célébrons donc pas un événement ponctuel, le Baptême, ainsi que l’on célèbre un anniversaire. Non, dans la mémoire du Baptême du Christ se rassemblent toutes les réminiscences bibliques ou non-bibliques où l’eau, les cieux ouverts, l’Esprit de Dieu, une voix du ciel, une colombe ont joué un rôle dans l’Histoire du Salut. Pensons, par exemple, au Livre de la Genèse où, après la création du ciel et de la terre, l’Esprit de Dieu plane sur les eaux en une toute première Théophanie, annonce de l’oeuvre créatrice de Dieu qui aboutira dans la création de l’homme, Adam, qui a toute la faveur de Dieu: car “Dieu vit que c’était très bon”. L’Esprit de Dieu qui plane sur les eaux y apparaît donc comme le principe d’harmonie entre le ciel et la terre, la présence divine qui est immanente à tout et dans la force duquel toute créature dans le ciel ou sur la terre est façonnée. Dans l’histoire du déluge, la colombe qui porte un rameau d’olivier à Noé dans l’arche est l’icône de la réconciliation entre Dieu et les hommes: elle est la manifestation de ce que Dieu renouvelle sa présence au sein de sa Création, qu’Il veut la restaurer en renouvelant son Esprit dans ses créatures. Lors du Baptême du Christ les cieux se déchirent et l’Esprit de Dieu, le même qui planait sur les eaux, descend sur le Fils de Dieu – qui est tout autant le Fils d’Adam – et le mystère de la présence de Dieu au sein de sa propre Création est révélé à celui qui a des oreilles pour entendre et l’intelligence pour comprendre: “Celui-ci est mon Fils bien-aimé qui a toute ma faveur”. L’Esprit de Dieu, Force et Sagesse divines, n’est pas une force brute ou primitive qui serait à l’œuvre, de façon mécanique, dans le chaos, mais il est le principe de la Création, exécuteur de la Parole de Dieu, qui s’incarne dans sa propre créature – dans l’homme – pour que celui-ci devienne pour ses co-créatures Pneumatophore (‘transporteur’ de l’Esprit), Theotokos (‘enfanteur’ de Dieu) et Theophanie, icône et présence de Dieu, immanence d’Être et d’Amour qui se communique.
Ce mystère de la Théophanie, nous l’avons célébré, de façon proprement sacramentelle, par la bénédiction des eaux. Or, en Orient, un sacrement est appelé un ‘mystère’, indiquant que la présence et la grâce divines dans les sacrements sont avant tout objet d’une révélation, d’une théophanie, au sein de laquelle la grâce est répandue et l’Esprit de Dieu donnée en communion. Nous nous sommes rendus près de l’eau et nous y avons lu les prophéties de l’Ancien Testament qui la concernent et qui préparent notre entendement pour bien cueillir le sens du Baptême du Christ. Ensuite, nous avons prié sur l’eau: nous avons loué Dieu pour sa Création et pour la Sagesse qui se manifeste dans toutes ses œuvres; nous nous sommes rappelés la fête passée de la Nativité du Christ et nous avons fait mémoire – nous nous sommes ‘insérés’ dans la mémoire – du Baptême du Christ par Jean, pour que cette mémoire-ci soit l’étincelle qui allume le feu de notre prière et de notre fête; nous avons béni l’eau, nous avons invoqué sur elle l’Esprit de Dieu qui est descendu et qui l’a sanctifiée; comme Jean le Baptiste nous avons baptisé le Christ – nous avons immergé la Croix dans l’eau – et ainsi le mystère du Christ tout entier, mort et ressuscité, monté au cieux, assis à la droite du Père et qui reviendra dans la gloire mais qui dès à présent est au milieu de nous par l’Esprit qui habite en nous, nous a précédé dans l’eau, s’est fait baptiser avec nous, nous a montré que nous avons en partage le même Esprit de Dieu. Ensuite, nous avons été aspergé avec cette eau du Baptême du Christ et de notre propre Baptême, nous en avons bu, nous en avons pris avec nous pour continuer à en boire ou pour asperger à notre tour la part de la Création qui nous a été confié; nous avons été confirmés et fortifiés dans notre être théophanique de Pneumatophore et de Théotokos.
L’eau et le mystère ont beaucoup en commun: on pourrait dire que l’eau est le prototype du mystère, du sacrement. En effet, comme l’eau garde sa consistance dans ses plus petites parties, restant tout entier ‘eau’, ainsi le mystère est entièrement présent dans ses plus petites manifestations. Il existe peut-être une foi petite et faible, mais le mystère est toujours le grand mystère de Dieu qui s’est fait homme pour restaurer en l’homme l’image et la ressemblance de Dieu. Tout comme l’eau, le mystère reste toujours entier, mais il se révèle et se communique à la mesure de notre foi et de notre disponibilité. De la même façon, le Christ en qui nous avons été baptisé est toujours le Christ tout entier, l’Esprit de Dieu qui habite en nous est toujours l’Esprit tout entier, la mémoire dans laquelle nous sommes insérés est toujours la mémoire toute entière, la vie qui est la nôtre est toujours la vie toute entière: le mystère ne peut pas être fractionné mais il est manifesté en divers degrés de profondeur selon notre foi et notre disponibilité. Il n’y a pas de vie insufflée par Dieu différente de celle de notre naissance, il n’y a pas de mémoire sur cette terre qui n’est pas notre mémoire à nous tous, vivants maintenant ou déjà partis, pas d’événement qui ne constitue pas notre histoire commune, il n’y a pas d’Esprit de Dieu autre que celui qui planait sur les eaux, qui est descendu sur le Christ lors de son Baptême et qui nous a été donné en partage, il n’y a pas de Christ en dehors de celui dans lequel nous avons été baptisés, dont nous sommes devenus les membres et qui est notre Tête.
Seigneur, donne-nous la foi et la disponibilité pour que notre manifestation soit vraiment ta Théophanie, pour que notre vie ne soit pas en dehors de la tienne, pour que notre mémoire ne soit pas parallèle à la tienne. Renouvelle en nous, Seigneur, l’Esprit de Dieu pour que nous puissions entendre la voix du ciel: “Celui-ci est mon Fils bien-aimé qui a toute ma faveur”. Amen.
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