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Vendredi saint 2025

Père, entre tes mains je remets mon esprit. (Lc 23,46). Ces dernières paroles de Jésus,
selon l’évangile de Luc, donnent en quelque sorte la clé de toute la Passion. Elles expriment
d’autant mieux la confiance totale de Jésus en son Père céleste qu’il s’agit là d’une citation de
la première partie du Ps 30,6 (héb 31,5), qui continue par Tu me délivreras, Seigneur, Dieu de
vérité ; et ce psaume commence par C’est en toi, Seigneur, que j’espère, que jamais je ne sois
confondu. Dans ta justice délivre-moi et sauve-moi. Nous savons en effet que, lorsqu’un Juif
citait un verset de l’Écriture, tous ses auditeurs juifs en connaissaient le contexte, et il n’en va
pas différemment de Jésus. Au plus profond de la détresse de l’innocent qui meurt d’une mort
atroce sans avoir rien à se reprocher, Jésus n’a pas perdu un seul instant la confiance totale
dans son Père, qui est la clé de toute sa vie terrestre et qui est, en fin de compte, « le »
message de salut qu’Il nous délivre.
Car la détresse de Jésus est bien réelle : Lui qui est venu sur terre par amour pour
l’humanité, qui a tout donné et tout pardonné, Il a éprouvé aussi le sentiment de « ne plus
exister », même pour Dieu, ce sentiment que l’on peut lire dans le premier verset du Ps 21 (Ps
21,2 LXX, héb 22,1) que nous rapportent les deux premiers évangiles (Mt 26,46 et Mc
15,34) : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Ces paroles évoquent le « shéol
» – appelé en grec l’Hadès – que les anciens voyaient comme le lieu où tout homme
descendait après sa mort, pour y vivre comme une ombre, oublié de tous et privé de tout
contact avec Dieu (et il était en cela différent de ce que nous appelons « enfer » dans notre
tradition, qui est un lieu de châtiment et non seulement un lieu d’oubli). C'est ce que signifie
ce que nous confessons dans le Credo, que Jésus, « est descendu aux enfers » : comme tout
homme, Il est vraiment mort, et Il s’est vu mourir dans la plus extrême détresse. Mais même à
ce moment-là, sa confiance dans son Père du ciel n’a pas fait défaut, et on le voit au dernier
verset de ce même Ps 21 (22) qui proclame : et on annoncera ta justice au peuple à naître,
(on lui annoncera) ce qu’a fait le Seigneur. Encore une fois, même dans son plus profond cri
de détresse, Jésus exprime la conscience qu’Il a d'accomplir la volonté du Père, c'est-à-dire le
salut du monde, raison pour laquelle Il s'est fait homme.
Certes, même en tant que simple être humain, Jésus avait très bien compris où le menait
sa mission, et cette perspective Lui a fait suer des gouttes de sang, tant Il voyait bien quelle
terrible souffrance L’attendait (Lc 22,44), mais cette horrible perspective ne L’a pas détourné
de l’obéissance à la volonté du Père. N'a-t-Il pas répondu à saint Pierre : Ne boirai-je pas le
calice que mon Père m’a donné ? (Jn 18,11). Comme le dit si bien saint Paul : le Christ s'est
fait obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix (Phil 2,8). Mais son obéissance n'a
rien d'une obéissance de pure discipline, « le devoir parce que c'est le devoir » : elle est le
fruit de l'amour infini de Dieu, de l'amour infini du Fils vis-à-vis de son Père et de l'amour
infini de Dieu vis-à-vis de l'humanité, et elle n'est possible que dans une confiance sans
limite, cette confiance parfaite envers le Père céleste que Jésus a manifestée à chaque instant
de sa vie terrestre, qui seule pouvait donner la force d'affronter la Passion.
Amour et confiance sont comme les deux faces d'une pièce de monnaie, l'un ne va pas
sans l'autre. Et c'est précisément ce message-là que Jésus nous apporte ; son message de salut,
c'est la seule vérité qui peut donner sens à toute notre vie terrestre : faire confiance à Dieu
sans limite, et l'aimer assez pour lui faire confiance sans limite. Car nous aussi, pauvres êtres
humains, prisonniers que nous sommes de nos limites et de nos péchés, Dieu nous aime et

nous fait confiance. Cette confiance enracinée dans l'amour de Dieu a permis à Jésus

d'affronter sa terrible Passion, et c'est elle aussi qui doit nous permettre de traverser toutes les
épreuves de notre vie, jusqu'à celle de la mort terrestre qui nous attend un jour, comme elle fut
aussi le sort de notre Maître et Seigneur Jésus-Christ. Arriver à croire en Dieu, à croire en
Jésus-Christ, même aux moments du plus noir désespoir, ce n'est pas une opération
intellectuelle, c'est un acte de tout nous-même, à commencer par notre cœur. C'est faire
confiance à Dieu au-delà de toute espérance, en sachant que, quoi qu'il arrive, Dieu ne nous
abandonnera jamais.
Cela nous paraît surhumain ? Cela l’est, en effet, mais avec Jésus tout devient possible :
ce qui est impossible à l'homme est possible à Dieu (Lc 18,27). Regardons le Bon Larron qui,
tout en étant parfaitement conscient de son indignité, n’a pas eu peur de dire : Souviens-toi de
moi, Seigneur, quand tu viendras dans ton royaume (Lc 23,42) et, avec lui, demandons à
Jésus de se souvenir de nous. Et à nous aussi Il répondra : aujourd’hui même, tu seras avec
moi dans le paradis.