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4e dimanche de carême 2025

Je crois Seigneur, mais viens en aide à mon peu de foi. La parole du père de cet enfant
épileptique, nous pouvons sans doute tous la partager. On comprend très bien cet homme, son tourment
de voir l’enfant malade et en même temps l’impossibilité matérielle pour un être humain d’arriver à
croire que ce qu’il attend si ardemment depuis tant d’années se réalise enfin. Et on irait presque
reprocher à Jésus de le faire attendre, de demander à cet homme une condition presque impossible…
Et pourtant, Jésus ne pouvait pas faire autrement sans trahir sa mission. Car Dieu n’est pas
descendu sur terre pour y rétablir le paradis terrestre, mais pour nous sauver. Or, le salut n’est pas dans
« la chair et le sang », c’est-à-dire dans l’existence terrestre telle que nous la vivons, mais dans la
participation librement voulue à la vie divine, comme le dit le prologue du quatrième évangile (Jn 1,12s
: Mais à tous ceux qui l'ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle (= « la Lumière venue dans le
monde ») a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés, non du sang, ni de la
volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu). Nous savons que nous sommes tous
nés « de la chair et du sang », mais nous oublions trop facilement que nous sommes aussi, et surtout, «
nés de Dieu ».
S. Paul revient sur cette idée qui semble contredire toutes nos attentes naturelles : Ce que je dis,
frères, c’est que la chair et le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu, et que la corruption n’hérite
pas l’incorruptibilité (1 Cor 15,50), et il continue en parlant de la résurrection dans laquelle tous nous
serons changés (ibid. v. 51).
À bien y regarder, en fait, c’est tout à fait logique. Car « la chair et le sang », c’est cette vie
terrestre et matérielle que nous vivons sur terre. Elle est inévitablement marquée par le péché, comme
nous l’enseigne toute l’Écriture sainte, du début de la Genèse à l’Apocalypse, avec la condamnation
répétée des péchés commis par l’humanité et, ne l’oublions pas, par le peuple élu lui-même, non
seulement Israël dans l’AT, mais aussi les membres de l’Église, donc nous-mêmes, depuis la venue du
Messie. Et notre expérience quotidienne nous le confirme. Si la terre n’est pas un « paradis terrestre »,
ce n’est pas la faute du Créateur, mais du fait que les créatures veulent toujours, consciemment ou non,
« être comme des dieux », c’est-à-dire cherchent l’autonomie, à commencer par le « moi d’abord » qui
nous est instinctif, depuis le petit enfant qui ne voit les choses qu’à partir de lui-même jusqu’à l’adulte
qui, tout en sachant très bien ce qu’il fait, a bien des difficultés à penser comme Dieu, c’est-à-dire à
vivre pour les autres.
Or n’oublions jamais ce que dit la première épître de Jean : Dieu est amour (1 Jn 4, 8.16), c’est-à-
dire que Dieu vit exclusivement pour les autres — et c’est bien ce qu’implique la Trinité : Dieu n’est
pas une monade autosuffisante, chaque Personne divine n’existe que pour les autres.
C’est précisément là que le bât blesse. Pour être heureux, et pour l’être tous ensemble, il n’y a
qu’une seule possibilité : vivre comme Lui, comme le suggère l’évangile de Jean en parlant d’être «
enfants de Dieu », de retrouver cette image et ressemblance avec Dieu qui fut celle de la création.
Malheureusement ce n’est pas cela que « la chair et le sang » recherchent. L’amour, c’est bien, mais
combien il est bien difficile pour un être humain d’aimer inconditionnellement tout le monde, d’aimer
même ses ennemis, d’aimer sans limite ! Notre amour humain a toujours une attente intéressée, on
attend le « retour de l’ascenseur », pour employer une expression familière. Alors que l'amour divin,

c'est un amour parfaitement gratuit, qui certes espère une réponse positive de la part de l'être aimé, mais
qui n'attend rien pour soi, comme Jésus nous l’a montré.
Pour nous, êtres humains, il n’y a qu’une manière possible de sortir de cette impasse : se livrer
librement à la volonté de Dieu, accepter librement de lâcher le contrôle de notre vie pour marcher à la
suite de Jésus. Et c’est là qu’intervient la foi, c’est-à-dire une confiance en Dieu qui se veut sans limite,
un abandon librement consenti à l’appel de Dieu, afin que son Règne arrive et que nous-mêmes
fassions sa volonté.
Nous avons entendu dans l’épître de ce jour que Lorsque Dieu fit la promesse à Abraham,
n'ayant pas de plus grand que Lui par qui Il pût jurer, Il jura par Lui-même (Héb 6,13). Mais pourquoi
a-t-Il dû jurer ? parce que le serment remplace une preuve ! Il ne pouvait évidemment pas prouver ce
qui n’était pas encore advenu, mais Il pouvait s’engager de tout Lui-même. Comme le dit encore cette
épître le serment sert de garantie (Héb 6,16) pour ce que l’on ne peut pas prouver. Nous qui sommes
matériels, nous avons toujours soif de preuves, c’est-à-dire de « tenir en main » l’objet désiré, ou la
réalisation attendue. Mais cela ne peut forcément se faire qu’a posteriori. Et comment donc faire
lorsqu'il est question de ce qui ne peut pas encore être réalisé immédiatement ? La seule chose qui le
permet, c’est précisément la foi. Cette même épître le dit fort bien ailleurs : La foi est la garantie des
biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas (Héb 11,1). La foi permet un type de
relation qui transcende le temps et la matérialité des choses, et qui nous permet donc de sortir de
l'impasse du temps et de l'espace, de ce que Paul appelait la chair et le sang, ce besoin de tenir en main
la preuve, ce qui est impossible dans notre condition terrestre.
L'exemple le plus marquant de cette foi absolue est certes celui de la Vierge Marie dans sa
réponse à l'ange Gabriel : l'annonce de l'ange était, certes, littéralement « incroyable », mais elle y
répondit avec une foi sans réserve qu'il me soit fait selon ta parole, et Dieu a pu s'incarner en elle. Elle
a mis en acte cette parole que dira Jésus : Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous
l'avez reçu, et vous le verrez s'accomplir (Mc 11,24).
Pour en revenir de l'attitude de Jésus lors la guérison de l’enfant, en demandant au père de
l’enfant d’avoir la foi — et en se contentant, bien sûr, de cette foi imparfaite qui est toujours la nôtre,
cette foi si bien exprimée par la réponse Je crois, Seigneur, mais viens en aide à mon peu de foi —
Jésus lui a ouvert les portes de la vie éternelle, cette vie qui transcende les limites de notre condition
terrestre, Il lui a fait entrevoir une réalité supérieure, dont la guérison de l’enfant était non pas « la
preuve », mais « le signe », un signe que l’on peut toujours refuser d’admettre (et certes la médecine
d’aujourd’hui arrive aussi à opérer des guérisons remarquables, sans nécessiter aucune foi en la vie
éternelle), mais ce signe est, pour celui qui a la foi, comme une fenêtre sur une réalité qui nous dépasse
infiniment, et qui en même temps est la réponse à la question la plus fondamentale que nous ne
pouvons pas ne pas nous poser, à savoir « pourquoi suis-je sur terre ? et pourquoi dois-je mourir un jour
? »
Cette réponse est précisément le « salut » que Jésus est venu nous apporter, la raison pour
laquelle Dieu s’est fait homme. Il n’aurait pas pu le faire autrement sans nous priver de ce qui fait
l’essentiel de notre dignité, à savoir notre liberté. Et c’est pourquoi la foi ne peut s’exercer que dans le
respect le plus total de cette liberté. Et si le plein exercice de cette liberté dépasse nos forces, disons
avec le père de cet enfant : Je crois, Seigneur, mais viens en aide à mon peu de foi !