La parabole de l’homme riche et du pauvre Lazare semble claire et
limpide: les riches en enfer et les pauvres au ciel! Mais c'est une
caricature. Ce n'est pas là ce qu'elle enseigne et elle n'autorise pas
l'Eglise à condamner les richesses et à exalter la pauvreté, en menaçant
tous les riches des foudres de l'enfer et en consolant tous les pauvres
avec la promesse d'un au-delà meilleur. Non, Jésus veut nous dire ce qui
est essentiel pour notre vie, ici sur terre. La description de ces deux
hommes est d'une concision étonnante. Leurs conditions de vie sont
opposées et ne se correspondent pas entièrement. Le portail de la
maison du riche est toujours fermé au pauvre, qui gît dehors, en
cherchant à manger quelques restes de la table du riche. Celui-ci porte
des vêtements de luxe, alors que Lazare est couvert de plaies ; le riche
fait chaque jour de somptueux banquets, alors que Lazare meurt de
faim. Seuls les chiens prennent soin de lui et viennent lécher ses plaies.
Cette scène rappelle le dur reproche du Fils de l’homme lors du
Jugement dernier : « Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à
manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire, j’étais [...] nu et
vous ne m’avez pas vêtu (Mt 25, 42-43). Lazare représente bien le cri
silencieux des pauvres de tous les temps et la contradiction d’un monde
dans lequel d’immenses richesses et ressources sont entre les mains de
quelques personnes. Nous savons que tout le monde doit mourir. On
peut imaginer le bel enterrement du riche, le nombre d'amis présents, les
discours officiels, le sermon émouvant du rabbin, les condoléances aux
cinq frères, les couronnes, les fleurs et les épitaphes. Et face à cela, la
fosse commune où on jette Lazare! Dans l’au-delà, la situation du riche
et de Lazare s’est inversée : le pauvre Lazare est emporté par les anges
au ciel auprès d’Abraham, le riche est en revanche précipité dans les
tourments. Que dire ! Tant que Lazare gisait devant sa maison, il y avait
une possibilité du salut pour le riche : ouvrir la porte, aider Lazare ; mais
à présent que tous les deux sont morts, la situation est devenue
irréparable. Dieu n’est jamais directement mis en cause, mais la
parabole met clairement en garde: la miséricorde de Dieu envers nous
est liée à notre miséricorde envers notre prochain: quand cette dernière
manque, l’autre forme de miséricorde non plus ne trouve pas de place
dans notre cœur fermé, elle ne peut pas entrer. Si je n’ouvre pas toute
grande la porte de mon cœur au pauvre, la porte reste fermée à la
miséricorde. Et aussi à Dieu. À ce moment-là, la porte étant fermée, le
riche pense à ses frères, qui risquent de finir de la même façon que lui,
et il demande que Lazare (dont il connaît le nom, qui veut dire : « Dieu
aide ») puisse retourner dans le monde pour les admonester. Mais
Abraham réplique : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent ».
La parabole est un appel de Jésus pour que nous prenions son
l’évangile au sérieux dans notre vie quotidienne. Pour nous convertir,
nous ne devons pas attendre des événements prodigieux, mais ouvrir
notre cœur à la parole de Dieu, qui nous appelle à aimer Dieu et notre
prochain. La Parole de Dieu peut faire revivre un cœur desséché et le
guérir de sa cécité. Le riche connaissait la Parole de Dieu, mais il ne l’a
pas laissée entrer dans son cœur, il ne l’a pas écoutée, il a donc été
incapable d’ouvrir les yeux et d’avoir de la compassion pour le pauvre.
Aucun messager et aucun message ne pourront remplacer les pauvres
que nous rencontrons sur notre chemin, car en eux, c’est Jésus lui-
même qui vient à notre rencontre : « Dans la mesure où vous l’avez fait
à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l'avez fait »
(Mt 25, 40), dit Jésus. Ainsi, dans le retournement des destins que décrit
la parabole est caché le mystère de notre salut, dans lequel Jésus unit la
pauvreté à la miséricorde. Mt 5,7-9,13 ; Lc 6,36