Un humoriste a dit un jour que, puisque la Vierge Marie a librement accepté, à l’annonce de
l’ange Gabriel, de devenir la mère du Sauveur, rien ne dit qu’il n’y ait pas eu, avant elle, d’autres
femmes à qui Dieu aurait posé la question et qui auraient refusé ! Sourions…
Car bien sûr le problème n’est pas de savoir exactement ce qui s’est passé ni comment cela
s’est passé : quoi qu’on dise et quoi que l’on essaie d’inventer pour expliquer la chose, le mystère
reste un mystère, et il n’est pas au pouvoir de l’homme de le résoudre. Ce qui importe pour nous,
c’est de comprendre ce que Dieu veut nous dire par le message de l’évangile, car c’est cela qui nous
concerne ; c’est cela, et cela seul, qui peut donner à notre vie terrestre un sens s’ouvrant sur
l’éternité.
L’Ecriture sainte ne nous dit rien des origines de Marie. Néanmoins, la tradition de l’Église
fait mémoire de la Nativité de Marie, que nous célébrons aujourd’hui. Cette tradition peut se
résumer en quelques mots : Joachim et Anne, un couple très pieux, n’ont pas d’enfant, et bien sûr ils
désirent ardemment une naissance dans leur famille, ils prient dans ce but, et apprennent par un
messager venu d’en-haut qu’ils seront bientôt exaucés. Une petite fille leur naît, qu’ils élèveront
dans la plus grande piété, et qu’ils consacreront au service de Dieu. C’est cette enfant qui sera
Marie, la mère de Dieu.
Ce récit, en soi, ne repose que sur des traditions postérieures, nées dans les tout premiers
siècles du christianisme. Mais il a une chose à nous apprendre, à savoir que la foi se transmet, et
que, si Marie a été en quelque sorte le réceptacle de la grâce divine, au point de concevoir Jésus, le
Fils de Dieu fait homme, c’est aussi parce qu’elle avait été préparée dès l’origine à se consacrer à
Dieu. Certes, recevoir la foi de ses parents n’est pas la seule manière de s’ouvrir à Dieu : tant de
conversions à travers l’histoire ont atteint des personnes qui n’avaient été nullement préparées à
découvrir Jésus. Mais ce qui est certain, c’est que la foi vécue par les parents ne peut pas manquer
de laisser des traces sur les enfants — et cela même si, comme nous le voyons si souvent de nos
jours, la manière dont les enfants vivent la relation à Dieu peut être très différente de celle de leurs
parents, voire même y semble opposée. En effet, quelle que soit notre éducation, nous sommes tous
libres, et la liberté de chacun est une composante essentielle de la foi chrétienne. Si nous étions pré-
déterminés, que ce soit par notre naissance ou par n’importe quoi d’autre, nous ne pourrions jamais
rencontrer ce Dieu que Jésus-Christ nous a révélé, qui est un Dieu d’amour — et l’amour ne peut
exister que dans la liberté. Mais en même temps, tout geste d’amour posé par chacun d’entre nous,
toute prière et toute supplication ne peuvent manquer de porter mystérieusement du fruit, comme ce
fut le cas, par exemple, des prières de sainte Monique pour son fils Augustin, lequel menait une vie
déréglée et s’était attaché à la religion manichéenne, au grand désespoir de sa mère Monique. Un
jour, dans un rêve, Monique voit apparaître un évêque qui lui dit : « Il est impossible que périsse ce
fils de tant de larmes ». Et quelque temps plus tard, Augustin découvrira le Seigneur… Par ses
larmes et ses prières, Monique avait mystérieusement ouvert à son fils un chemin dans lequel il
découvrirait Dieu en toute liberté.
Mais si l’Ecriture sainte ne nous informe pas sur la famille de Marie, elle nous fait connaître,
en peu de touches, qui elle était et en quoi elle a vraiment été la mère de Dieu, non seulement
matériellement, mais bien plus encore de toute sa personne. Il est vrai que l’évangile parle peu
d’elle : à part les deux passages initiaux des évangiles de Matthieu et de Luc — ce qu’on appelle l’«
évangile de l’enfance » — il n’est pas souvent question de Marie dans les évangiles. Avec la
famille, elle vient voir Jésus occupé à prêcher, et Jésus lance à cette occasion le plus bel éloge qu’il
pouvait faire de sa mère lorsqu’il dit : « ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole
de Dieu, et qui la mettent en pratique » (Lc 8,21), car Marie a été, par excellence, celle qui «
écoutait la parole de Dieu et la mettait en pratique », et c’est même à cela que l’on pourrait résumer
toute sa personne, car le reste n’en est qu’une conséquence. Si Marie a pu librement répondre à
l’archange Gabriel : « Voici la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1,38),
c’est parce que, de tout son être, elle avait toujours adhéré pleinement et en toute liberté à la volonté
de Dieu. On remarque aussi sa présence discrète lors des noces de Cana quand, en toute modestie et
discrétion, elle est à l’origine du premier miracle de Jésus (Jn 2) : elle est là, elle se contente
d’informer Jésus du problème que rencontrent les mariés, à savoir qu’il n’y avait plus de vin, et elle
dit simplement aux serviteurs de faire tout ce que Jésus leur dira ; cette confiance totale en Jésus,
qui Lui-même n’agit jamais qu’en union avec le Père des cieux (Jn 4,34; 5,30; 6,38), est la clé de
toute l’existence de Marie, et aussi pour nous le modèle parfait de la foi. On retrouve encore Marie
au pied de la Croix, où elle n’a jamais été autant « mère » qu’en ce moment-là et où, en la confiant
à son disciple préféré, Jésus mourant la désigne en même temps, de manière symbolique, comme
mère de toute l’humanité (Jn 19,26s).
Et c’est aussi en cela que Marie, en effet, est notre mère : non pas, bien sûr, « du sang, ni du
vouloir de la chair, ni de la volonté de l’homme » (Jn 1,13) — car personne ne remplacera jamais
nos parents terrestres en tant que tels — mais parce qu’elle est pour nous le modèle parfait de la
parfaite adhésion, en toute liberté, à la volonté de Dieu. Quelles qu’aient été les circonstances de sa
naissance et de son enfance, quelle qu’ait été la vie de la Sainte Famille à Nazareth — sur laquelle
saint Luc nous dit bien peu, mais suffisamment : « sa mère conservait toutes ces choses dans son
coeur » (Lc 2,51), un verset qui laisse aussi entendre à quel point Marie a été une femme de prière
— Marie a été un être humain en qui s’est vérifié ce verset de saint Paul : « Le Dieu qui a dit à la
lumière de resplendir du sein des ténèbres, a fait luire aussi sa clarté dans nos coeurs pour que
nous fassions briller la connaissance de la gloire de Dieu en la personne du Christ Jésus. Mais
nous avons ce trésor dans des vases de terre, afin que la grandeur appartienne à la puissance de
Dieu, et non pas à nous » (2 Cor 4,6s). Oui, elle était un vase d’argile, étant un être humain fragile,
tout comme chacun d’entre nous, et elle n’a dû son extraordinaire force morale qu’au fait de s’être
constamment et totalement remise entre les mains de Dieu. Dans sa très modeste vie de femme de
Palestine d’il y a 2000 ans, une femme du peuple que personne ne remarquait, elle a brillé de mille
feux par sa communion totale au projet de Dieu, assumant à chaque instant de sa vie terrestre la
réponse qu’elle avait faite à l’ange lors de l’Annonciation, celle d’être la servante du Seigneur, et en
vivant totalement ouverte à la volonté de Dieu, aussi imprévue qu’elle puisse être. En elle a
resplendi la grandeur de Dieu, désireux de faire de tout être humain une image de sa gloire —
n’ayons pas peur de dire « une icône », car tous nous sommes appelés à la sainteté, même si nous
nous en sentons encore si loin. Et Marie continue pour l’éternité à nous montrer le chemin, nous
soutenant par sa prière et son exemple, par sa propre fidélité à la mission que Jésus lui a confiée au
moment de mourir sur la Croix. Si les larmes de sainte Monique ont pu ouvrir le coeur de son fils
Augustin, combien plus celles que Marie verse pour tous les péchés du monde, à commencer par les
nôtres, ne doivent-ils pas ouvrir le coeur de chacun ? Mais à cela il y a une condition incontournable
: c’est la libre acceptation de notre part. Que la prière de Marie soutienne notre liberté défaillante et
nous aide à dire, comme elle le fit elle-même, Voici la servante du Seigneur — et à vivre en
conséquence, à son exemple !