Lorsque les pharisiens apprennent que Jésus a fermé la bouche
aux sadducéens, ils se réunissent pour discuter avec Jésus. Ils envoient
un de leurs juristes pour le mettre à l'épreuve, comme Satan l'avait fait
dans le désert. Leur question est de savoir quel est le plus grand
commandement de la loi, le précepte principal. Dans le judaïsme
pharisien de l'époque de Jésus, cette question était souvent débattue.
Pour ne citer qu'un exemple : « Un jour, un païen alla trouver Hillel et lui
dit : “Convertis-moi au judaïsme à condition que tu m'enseignes toute la
Torah, alors que je me tiens sur une jambe”. Hillel l'accepta dans le
judaïsme et lui enseigna ce qui suit : « Tout ce que tu ne veux pas qu'on
te fasse, ne le fais pas à ton prochain. C'est là toute la Torah. Le reste
n'est que commentaires. Vas-y et apprends cela ! » Il faut savoir que,
dans la tradition orale, la Torah est détaillée en 613 commandements :
248 commandements, parce que le corps humain a 248 parties (= avec
toute la personne) et 365 interdictions, parce que l'année a 365 jours (=
chaque jour). C'est un chiffre énorme. Eh bien : y a-t-il une hiérarchie
entre ces préceptes ? Y a-t-il des lois importantes et des lois
secondaires ? Peut-on résumer la Torah en un seul principe, une sorte
de fil rouge ou de règle d'or, indiquant l'attitude de base, qui revient dans
tous les autres commandements et qui doit être respectée ?
La réponse de Jésus est claire. Il résume l'ensemble de la Torah
en deux commandements, qu'il combine : Deutéronome 6.5. « Tu
aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de
tout ton esprit ». L'amour de Dieu est donc primordial, car Dieu est la
source cachée d'où jaillissent tout et n'importe quoi. Il est le Créateur de
tout notre être.
Il nous aime, Il cherche et désire chacun d'entre nous. Chaque être
humain que nous rencontrons est son enfant, sa création, son désir, son
amour. Ainsi, si nous aimons Dieu, nous pouvons voir son amour et son
désir dans chacun de nos voisins. Nous ne pouvons donc que lui rendre
la pareille en partageant également son désir et en répondant par la
charité. Le mot « tout » revient à trois reprises : de tout notre esprit, de
tout notre cœur et de toute notre âme. Dieu exige tout notre être pour
que nous puissions devenir des êtres humains selon le cœur de Dieu.
En l'aimant, nous contribuons à mettre Dieu en lumière dans ce monde.
C'est le plus grand et le premier commandement, car Dieu est au-dessus
de tout.
Mais en même temps, Jésus dit que le deuxième commandement,
qui vient du Lévitique 19.18 : « Tu aimeras ton prochain comme toi-
même » est égal au premier. Ces deux commandements vont de pair. Ils
sont le reflet l'un de l'autre. Celui qui aime Dieu en y mettant toutes ses
forces trouvera inévitablement aussi le chemin vers son prochain, et
celui qui aime son prochain sans réserve découvrira Dieu lui-même à
travers lui et en lui. Dans l'amour, il n'y a plus deux mondes, celui de
Dieu et celui de l'homme, mais les deux mondes se fondent en un
nouveau monde d'unité et d'amour. À partir de Dieu, tous les hommes
deviennent notre prochain et nous commençons à voir en chacun les
enfants du même Dieu et Père céleste. Les pharisiens ne contrediront
certainement pas le fait que l'amour de Dieu passe en premier, mais que
le commandement de l'amour du prochain soit équivalent, ils doivent
certes y réfléchir, tout comme nous. Il ne suffit pas de considérer
séparément chacun de ces commandements : celui qui aime Dieu et pas
son prochain n'a pas non plus compris le commandement de l'amour de
Dieu. Aimer Dieu, c'est considérer son prochain comme un enfant de
Dieu, comme quelqu'un que Dieu nous a donné comme frère ou sœur...
L'amour de Dieu se concrétise dans l'amour de l'homme et l'amour du
prochain est la conséquence de notre amour de Dieu... Aimer Dieu et
aimer son prochain comme soi-même constituent les deux faces d'une
seule et même pièce.
Ce qui est également nouveau et qui agace certainement les
pharisiens, c'est que Jésus conclut en disant que non seulement tout ce
qui se trouve dans la Torah, mais aussi tout ce qu'il faut lire dans les
prophètes, est « suspendu » à ces deux commandements, tout comme
une porte est suspendue par deux gonds, un en haut et l'autre en bas.
Les deux sont nécessaires, car avec un seul, la porte ne pourrait pas
tourner. Jésus n'est pas venu pour détruire la loi et les prophètes, mais
pour les accomplir (Mat 5:17).
La particularité de Jésus est qu'il ne se contente pas de dire ce qui
est au cœur de notre vie, mais qu'il le fait. Il a vécu pour nous ce que
signifie aimer Dieu et aimer son prochain. Où voyons-nous Jésus aimer
le Père ? ? Tout au long de la vie de Jésus, il apparaît clairement qu'il
considère Dieu comme un Créateur, un Père aimant et miséricordieux
qui aime tous les hommes. Le cœur, l'âme et l'esprit de Jésus sont
entièrement tournés vers le Père. Il écoute ce que le Père dit, il fait ce
qu'il voit le Père faire. Aimer le Père, c'est réaliser son désir (de tout son
cœur), réaliser sa volonté dans l'obéissance (de toute son âme et de
toute sa dévotion) et, en tant qu'envoyé (de toute sa force mentale),
proclamer la Bonne Nouvelle : Dieu est amour. De tout son être, Jésus
est au service du Père, c'est pourquoi il s'est fait homme, a appris
l'obéissance par la souffrance et est resté fidèle au Père jusqu'à la mort.
L'amour de Dieu de Jésus est également visible dans les nombreuses
heures silencieuses de prière, qui maintiennent, approfondissent et
unifient sa relation d'amour avec le Père.
Les évangiles nous montrent clairement à quel point l'amour de
Dieu de Jésus se réalise dans sa charité. Le cœur, l'amour, la
miséricorde, la justice et la fidélité de Dieu deviennent visibles dans les
paroles et les actions de Jésus. Jésus a un cœur universel et ouvert. Le
Père aime tout le monde, lui aussi : juifs, païens, samaritains, scribes,
sadducéens, pharisiens, collecteurs d'impôts, femmes publiques,
Romains... Il aime tout le monde, oui, il se donne à tout le monde, non
seulement par l'Incarnation, sa croix et sa mort, mais aussi par
l'Eucharistie. Le cœur de Jésus est un cœur de compassion, de pitié, de
pardon, l'empathie totale et de sens des besoins de notre prochain. Il
est très sensible à la souffrance psychologique ou physique de ses
semblables. Muets, aveugles, possédés, paralysés, affamés, pauvres,
mourants ou décédés : tous sont proches de son cœur.
Si nous entrons dans la logique de l'amour, ces deux
commandements sont les mêmes, dit Jésus, ils sont de même nature ;
bien sûr, parce qu'il n'y a pas deux sortes l'amour ! Comme le dit Jésus :
« Si vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi
que vous l'avez fait » (Matthieu 25.40). Et comme le dit Jean : « Si
quelqu'un dit : J'aime Dieu, et qu'il hait son frère, c'est un menteur. Car
celui qui n'aime pas son frère qu'il voit ne peut aimer Dieu qu'il ne voit
pas ». (1 Jn 4, 20).
Que le Seigneur, par son Esprit, éclaire et réchauffe nos cœurs
pour qu'ils deviennent comme le sien.