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13e dimanche après Pentecôte

« Il fera périr misérablement ces misérables, et il louera sa vigne à d'autres vignerons,
qui en rendront les fruits en leur temps » La conclusion de la parabole entendue aujourd’hui
est terrible, et nous présente Dieu sous un aspect assez effrayant, celui d’un juge juste, mais
impitoyable, sous lequel on décrit encore assez souvent Dieu, alors que nous voyons en Jésus
le Dieu d’amour qui a donné sa vie pour nous sauver. Ce n’est pas que cette image soit sans
fondement : il est exact que bien des passages de l’Ancien Testament dépeignent Dieu de
cette manière, d’ailleurs parfois avec des paroles qui nous choquent à bon droit, ainsi quand
Dieu ordonne au peuple d’Israël d’exterminer tous ses ennemis jusqu’au dernier, y compris
les vieillards, les femmes et les enfants. Rappelons-nous toutefois que ces passages ont été
mis en forme dans un passé très lointain, il y a près de 3000 ans, à une époque, où, de fait, ces
massacres étaient la loi normale de survie pour l’humanité : pour survivre, il fallait anéantir
tous ses ennemis et leurs descendants, ou à tout le moins les réduire en esclavage — comme
ce fut le cas pour le peuple d’Israël lui-même lors de la déportation à Babylone. Et n’oublions
pas que Jésus est un Juif qui, il y a 2000 ans, s’adressait à des Juifs de son époque : Il leur
parlait donc dans des catégories que les foules pouvaient comprendre.
Pourtant, ce même Jésus nous a, en même temps, révélé un visage de Dieu que l’être
humain n’aurait pas pu découvrir par lui-même. Et cela non seulement en donnant sa propre
vie pour nous — une réalité qui vaut tous les discours — mais aussi par ses discours. À côté
de la parabole des Vignerons homicides, Il a aussi raconté celle du bon grain et de l’ivraie :
Dieu ne veut pas que l’on arrache l’ivraie avant la moisson, car Il craint que l’on ne fasse
ainsi du tort au bon grain — car en fait Dieu espère toujours que l’ivraie, c’est-à-dire l’être
humain qui fait du mal, se convertisse et devienne lui aussi du bon grain, autrement dit que
tous, jusqu’au plus mauvais d’entre les hommes, finissent par accueillir du fond du coeur le
message d’amour et s’y livrent à leur tour. Et Jésus n’a pas hésité à affirmer que « il y aura
plus de joie dans le Ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-
neuf justes qui n'ont pas besoin de pénitence » (Lc 15,7). Ce n’est pas seulement un rêve : à
côté du Bon Larron converti au dernier moment sur la croix, nous voyons aussi saint Paul,
persécuteur de l’Église devenu son plus ardent prédicateur, et pas mal d’autres par la suite.
Jésus s’est aussi décrit comme « le bon pasteur, (qui) donne sa vie pour ses brebis » (Jn
10,11), et chacun d’entre nous fait partie de son troupeau, c’est pour chacun de nous que Jésus
a donné sa vie. Lors de sa prière solennelle avant la Passion, celle que l’on appelle « la prière
sacerdotale », Jésus a aussi déclaré à propos de « ceux que le Père lui a donnés » : « aucun
d'eux ne s'est perdu, si ce n'est le fils de perdition, afin que l'Ecriture fût accomplie » (Jn
17,12) — et rendons-nous bien compte que c’est tous les hommes que le Père a donnés à
Jésus, du moins tous les « hommes de bonne volonté », ceux qui acceptent librement de Le
suivre, et que la seule limite réside précisément dans la liberté de chacun ; si le « fils de
perdition » s’est perdu, c’est parce qu’il a librement décidé de trahir Jésus, accomplissant
ainsi l’Écriture qui avait prophétisé cette trahison, car Dieu ne se permet de forcer la main à
personne. Jésus, surtout, nous a appris à nous adresser à Dieu comme Notre Père qui es aux
cieux (Mt 6,9), et Il a si souvent décrit Dieu comme un père aimant, en particulier dans la
parabole dite « de l’Enfant prodigue » (Lc 15,11ss).
Mais alors, comment nous autres, chrétiens du XXI e siècle, pouvons-nous comprendre
cette parabole des Vignerons homicides ? Eh bien, j’y vois deux aspects principaux. D’une

part, Jésus a voulu faire comprendre aux Juifs ses contemporains que le Royaume de Dieu
n’était plus à considérer comme une sorte de « propriété privée » du peuple d’Israël héritée de
Moïse, mais que le salut de Dieu s’étend à tous les peuples et toutes les nations, quelle que
soit leur race, leur tradition ou la structure de leur société. Et cela a été parfaitement assimilé
par saint Paul, le persécuteur devenu « l’apôtre des nations ». Non que Dieu ait été infidèle à
la promesse faite jadis à Abraham (Gen 17,7 ; cf. Gal 3,16-18), mais au contraire qu’Il a
élargi sa promesse au monde entier. Comme l’a répondu le maître de la vigne qui
récompensait les ouvriers de la onzième heure à un ouvrier de la première heure qui se
plaignait : « Ne m'est-il pas permis de faire de mon bien ce que je veux? Serais-tu jaloux
parce que je suis bon? » (Mt 20,15). — Par ailleurs, cela ne signifie pas que les promesses de
Dieu à l’égard d’Israël seraient devenues caduques : comme l’affirme fermement saint Paul
dans l’épître aux Romains, tout Israël sera sauvé, lorsque les temps seront venus et que leurs
péchés seront enlevés (Rom 11,25-27). Mais Dieu seul connaît les temps et les moments.
Toutefois, notre parabole des Vignerons homicides porte aussi une autre leçon, à savoir
que l’accueil du Royaume de Dieu est un sujet grave, qui remet en question chacun de nous.
Quand Jésus raconte que les vignerons voulaient tuer les serviteurs du propriétaire de la
vigne, il fait allusion aux prophètes qui ont été rejetés, maltraités et tués en leur temps pour
avoir défendu la vérité, et quand il rapporte que les mauvais serviteurs ont tué le fils du maître
de la vigne, c’est bien sûr sa propre mort sur la Croix qu’Il prophétise. Certes, nous n’avons
pas pour notre part — je l’espère vivement, du moins ! — l’intention de tuer quiconque, fût-
ce pour s’emparer de son héritage, mais la très triste situation de notre société, où l’on entend
tous les jours parler de meurtre, où l’on passe sous silence le drame des avortements, ou se
produisent des enlèvements, des viols et où la guerre fait rage en tant d’endroits, nous rappelle
que les paroles de Jésus n’ont pas été dites en l’air. Hélas, oui, le mal règne sur la terre et dans
bien des cœurs. Et le risque d’une catastrophe générale, d’une guerre tous azimuts, est loin
d’être un mythe. N’oublions pas que ce n’est pas Dieu qui a inventé la guerre, ni les crimes,
mais que c’est l’égoïsme de l’être humain qui suscite la violence au lieu de l’amour en
voulant « tout et tout de suite », en ne pensant qu’à soi comme si le monde entier devait être à
nous. Et que la seule manière de mettre fin, sur terre, à ce terrible cycle de violence, ce n’est
pas de détruire l’ennemi jusqu’à la racine, d’exterminer tous les adversaires, y compris les
vieillards et les enfants, comme l’a fait le peuple d’Israël lors de la conquête de la Terre
Promise, mais d’aimer jusqu’au bout, à la suite du Christ, et d’être prêt à donner sa vie non
seulement pour ses amis, mais aussi pour ses ennemis, comme Jésus. Cette vérité ne passera
jamais. Et s’il n’est pas dans notre pouvoir de mettre fin à la violence qui se déchaîne sur la
terre, en particulier dans le monde où nous vivons aujourd’hui, il nous revient d’y contribuer
dans la petite mesure de nos pauvres moyens, d’abord en priant pour la paix, mais aussi — de
manière bien plus efficace que nous ne l’imaginons — en faisant la paix à l’intérieur de nous-
mêmes, en étant des « temples de l’Esprit Saint », rayonnant de la joie de Dieu. Car, après la
Pentecôte, Dieu a choisi de n’agir qu’à travers ses témoins que nous sommes. Il n’y a pas que
des vignerons homicides, il y a aussi de bons vignerons, que nous sommes tous appelés à être.
Cultivons donc la vigne que le Seigneur nous a confiée, et rendons-en Lui les fruits : nous
serons nous-mêmes les premiers à en goûter dans la paix du Seigneur !