Servir … « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 27). C’est
Jésus qui parle tandis que les apôtres se chamaillent pour savoir qui est le plus
grand. Voilà qui est bien de tous les temps et de tous les lieux, et qui n’épargne
même pas les disciples du Seigneur. Vanité des vanités, dirait l’Ecclésiaste. Et
pour ce genre de vanité, il n’y a pas d’âge !
« Je suis au milieu de vous comme celui qui sert ». C’est Jésus qui parle et qui
nous invite à en dire autant. A la veille de mourir, tandis qu’il se relève d’avoir
lavé les pieds de ses disciples, avant un dernier repas, il précise : « Si donc je
vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous
laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné,
pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous » (Jn 13, 14-
15). Ce qu’il explicite un peu plus tard dans la soirée : « Je vous donne un
commandement nouveau : vous aimer les uns les autres ; comme je vous aimés,
aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34)
Servir par amour. Telle est la vie chrétienne, et par conséquent la vie
monastique. Et saint Benoît ne s’y est pas trompé qui se propose de fonder une
« école du service du Seigneur ». Une école où rien ne sera dur et âpre (Pr 46),
mais non moins exigeant. Le pensum servitutis (RB 49, 5 ; 50, 4), autrement dit
la mesure, le poids de notre service est toujours là, et nous devons nous en
acquitter parce que nous nous y sommes engagés solennellement par des vœux,
ce que saint Benoît rappelle à plusieurs reprises (RB 5,3 ; 18, 24 ; 16, 2),
précisant même que c’est librement et en toute connaissance de cause que nous
nous y sommes engagés, après une longue délibération (RB 58, 16).
Servir ! tout est donc là et le terme, qu’il s’agisse du verbe ou du substantif,
revient plusieurs fois sous la plume de saint Benoît. Le moine s’acquitte de ce
service envers Dieu, mais aussi envers ses frères. Les deux grands
commandements, l’amour de Dieu et l’amour du prochain, convergent dans ce
simple mot : servir. Si les moines doivent servir le Seigneur en s’acquittant de la
louange divine plusieurs fois par jour, ils doivent également se servir les uns les
autres dans les tâches matérielles de tous les jours. D’où sans doute l’insistance
de saint Benoît sur les tâches de la cuisine, qu’il s’agisse de celle de la
communauté (RB 35, 1. 6. 13) ou de celle des hôtes (RB 53, 18), sur le service
du réfectoire, mais aussi sur le soin des malades (RB 36, 1. 4). Quoi de plus
astreignant et de plus exigeant que ces tâches-là qui ne souffrent pas de délai ! Il
y a là au fil du quotidien le plus concret, le plus banal, de quoi exercer cette
patience dont saint Benoît parle à la fin du Prologue (Pr 50) et encore au 4 e degré
d’humilité (RB 7, 35 … 42), car tout est bien affaire d’humilité et d’obéissance ;
les deux vont de pair et constituent le combat du moine en le configurant au
Christ. « Nous sommes tous un dans le Christ, insiste saint Benoît, et nous
portons tous les mêmes armes, au service d’un même Seigneur. » (RB 2, 20)
« Nous sommes tous un dans le Christ … », ce Christ à la suite et à l’imitation, à
l’école somme toute, duquel nous nous sommes mis, ce Christ auquel il ne faut
rien préférer (RB 4, 21 ; 72, 11), auquel nous ne voulons rien préférer et qui est
bien ce que nous avons de plus cher (RB 5, 2). Sur ça aussi, saint Benoît revient
à plusieurs reprises, comme il exhorte également à plusieurs reprises à agir par
amour du Christ (RB 4, 72 ; 7, 69 ; 63, 13) et de Dieu (RB 7, 34). Et si parfois
nous peinons tant à nous acquitter de notre service, c’est peut-être que nous ne
regardons pas assez le Christ, que nous n’aimons pas assez le Christ, trop
préoccupés que nous sommes de notre volonté propre et de nos intérêts
particuliers. Le danger est toujours, lorsque l’on a tout donné, de tout récupérer
petit à petit et de s’installer dans un cocon protecteur toujours plus hermétique.
De nouveau, le combat est quotidien parce que l’appel de Dieu est quotidien.
« [Le Seigneur] éveille chaque matin, il éveille mon oreille pour que j’écoute
comme un disciple. Le Seigneur Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi je n’ai pas
résisté, je ne me suis pas dérobé ». Ainsi parle le prophète Isaïe, et ce n’est sans
doute pas un hasard que ce soit au troisième chant du Serviteur (Is 50, 4-5).
Laissons-nous donc éveiller, écoutons la voix du Seigneur et ne nous dérobons
pas au service dont nous avons fait profession par amour du Christ. « Notre
fidélité au Seigneur, dit le pape François, notre fidélité au Seigneur dépend de
notre volonté de servir » (Angélus du 19 septembre 2021).