Au lendemain de la fête des Saints Apôtres Pierre et Paul que nous avons
célébrée hier, l’Église d’Orient célèbre habituellement la Synaxe des Douze
Apôtres, mettant ainsi l’accent sur l’ensemble des apôtres et non plus seulement
sur Pierre et Paul considérés comme les coryphées, ceux qui mènent la danse. Il
y a là un parfum de synodalité, cette synodalité si à l’honneur ces dernières
années dans l’Église catholique qui n’en a pas le monopole, - elle se vit aussi
dans d’autres Églises selon des modalités qui leur sont propres, - cette synodalité
qui reflète une démarche commune, - il s’agit bien de marcher ensemble comme
les compagnons de Jésus ont marché avec lui, à sa suite, - cette synodalité qui
reflète aussi une prise de décision commune en vue d’un témoignage commun
de notre foi en Dieu.
Cette année, la fête de la Synaxe des Douze Apôtres tombant un dimanche est
éclipsée par la Pâque hebdomadaire qu’est la mémoire de la Résurrection du
Seigneur. Soyons bien conscients que si nous faisons mémoire de la
Résurrection aujourd’hui, c’est parce que les apôtres, les premiers, en ont fait
mémoire tous les huit jours, au rythme des apparitions du Ressuscité, comme
l’atteste l’évangile de l’apôtre Jean (cfr Jn 20, 26) qui consigne une pratique
devenue courante pour les chrétiens à la fin du I er siècle. Et c’est ce même apôtre
Jean qui, dans le livre de l’Apocalypse qui lui est attribué, situe sa vision du
Christ en gloire le premier jour de la semaine, le Jour du Seigneur (Ap 1, 10).
C’est au soir de Pâques que Jésus ressuscité apparaissant aux apôtres réunis au
cénacle les envoie en mission, comme le Père l’a lui-même envoyé, et leur
donne le pouvoir de remettre les péchés : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui
vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez,
ils leur seront retenus » (Jn 20, 22-23). Le Seigneur élargit aux Douze ce
pouvoir de lier et de délier qu’il a déjà confié à Pierre qui venait de proclamer,
au nom de ces mêmes Douze, sa foi en la divinité de Jésus : « Tu es le Christ, le
Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 15 sv).
La foi en la divinité de Jésus, ou tout au moins dans un premier temps, en son
pouvoir de guérisseur, n’est-ce pas ce que nous venons d’entendre dans
l’évangile de ce dimanche ? Quatre hommes portent un paralytique à Jésus
revenu dans sa ville, entendons Capharnaüm où il s’est établi après l’appel des
premiers disciples et d’où il rayonne à travers la Galilée et de part et d’autre du
lac de Tibériade. Il revient d’ailleurs de l’autre rive, et c’est tandis qu’il
débarque qu’on lui amène ce paralytique.
Histoire sans parole. Ces hommes ne demandent rien, et Jésus ne leur demande
pas non plus ce qu’ils veulent, comme ça lui arrive parfois. Sans doute, tout est-
il dans le regard. Regard du paralytique levé vers Jésus, regard de Jésus posé sur
cet homme qui git à ses pieds, regard intense que Jésus porte sur chacun de ceux
qu’il rencontre, et qu’il pose encore sur nous aujourd’hui.
Et soudain, cette parole qui prévient toute demande comme Dieu l’avait annoncé
par la bouche du prophète Isaïe : « avant qu’ils n’appellent, moi je répondrai, ils
parleront encore que j’aurais déjà entendu » (Is 65, 24), ce que Jésus lui-même
avait confirmé dans son discours sur la montagne, au tout début de son
ministère : « votre Père sait bien ce qu’il vous faut, avant que vous le lui
demandiez » (Mt 6, 8). Et Jésus qui agit au nom du Père, - ce que les scribes
vont lui reprocher, parce qu’ils ne comprennent pas ce qui se passent sous leurs
yeux, - Jésus prononce cette parole qui fortifie et qui relève au propre comme au
figuré (physiquement et moralement) : « Aie confiance, mon enfant, tes péchés
sont remis » (Mt 9, 2). On ne saurait trop insister sur la tendresse exprimée dans
cette parole, et en tirer la leçon pour nous aujourd’hui : notre relation au Christ,
notre relation à Dieu est faite de tendresse. Dieu nous aime comme Père, et nous
sommes appelés à l’aimer comme enfants et à lui faire confiance au-delà de
toutes nos paralysies et de nos incompréhensions.
Jésus va droit à l’essentiel, et c’est l’inattendu de Dieu qui fait irruption - « votre
Père sait de quoi vous avez besoin » (Mt 6, 8). Le signe qui suit ne fait que
confirmer ce pardon de Dieu et suscite la louange des foules qui rendent gloire à
Dieu d’avoir donné une telle autorité aux hommes (cfr Mt 9, 8). On peut
s’étonner du pluriel utilisés « aux hommes », mais ne s’agit-il pas justement de
ceux à qui le Seigneur a conféré le pouvoir de remettre les péchés, comme le
laisse entendre l’évangéliste Marc à la fin de son évangile : « Quant à eux [les
apôtres], ils partirent prêcher partout : le Seigneur agissait avec eux et confirmait
la Parole par les signes qui l’accompagnaient » (Mc 16, 20).
Si aujourd’hui les signes extérieurs se font plus discrets, le pardon de Dieu n’en
demeure pas moins. Il répond à notre foi qu’il fortifie, et il éveille notre louange,
notre action de grâce.