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7e dimanche de Pâques Pères de Nicée

Le magnifique passage de l’évangile de Jean que nous avons lu aujourd’hui est appelé « la
prière sacerdotale » de Jésus, car Il s’offre Lui-même au Père pour le salut du monde, et Il y
associe tous ceux qui croient en Lui, ses Apôtres tout d’abord, mais aussi chacun de ceux
qui, à travers l’histoire, s’offriront à Dieu, et donc nous aussi. Jésus prie pour que tous ceux
qui croient en Lui soient consacrés dans la vérité, c’est-à-dire offerts à Dieu pour accomplir
la mission de Jésus afin que le monde croie. Mais aujourd’hui je voudrais m’arrêter
uniquement sur le verset 3 : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai
Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ.
Dimanche dernier, nous avons lu l’histoire de l’aveugle-né à qui Jésus a donné la vue, mais
pas seulement. En effet, cet ancien aveugle a aussi « ouvert les yeux » sur la personne de
Jésus. Dans sa logique absolument irréprochable d’un homme simple et droit, il a compris
que ce don que lui faisait Jésus ne pouvait venir que de Dieu et, lorsque Jésus lui a demandé
« Crois-tu au Fils de l’homme? » (Jn 9,35) en se désignant Lui-même comme tel, il a
répondu sans hésiter « Je crois, Seigneur » (Jn 9,38) et il s’est prosterné devant Lui. Alors
que les pharisiens étaient empêtrés dans leurs convictions qui les empêchaient d’admettre
l’évidence (Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur Jn 9,24), l’ancien aveugle
avait le coeur libre de tout préjugé. C’est leur orgueil et leur auto-suffisance qui a empêché
les pharisiens d’y voir clair et d’admettre la vérité, de faire la vérité pour venir à la lumière
(cf. Jn 3,21). Aujourd’hui, je voudrais souligner que ce regard spirituel que Jésus nous offre,
cette vue d’une réalité surnaturelle que les yeux de chair ne voient pas, c’est précisément
cela « connaître Dieu » et entrer dans la vie éternelle.
Car pourquoi Dieu s’est-Il fait homme, sinon « pour sauver le monde » (Jn 12,47) ? Mais
que veut dire « sauver » ? Il ne s’agit pas de « nous sauver » au sens matériel : si Jésus a fait
bien des miracles, cela n’a jamais été dans le but de faire en sorte que le monde devienne un
paradis terrestre, puisque justement la Bible nous apprend que Dieu a dû chasser Adam et
Ève du paradis terrestre parce qu’ils avaient, par leur désobéissance, refusé d’y vivre dans la
vérité. Et qu’il ne peut pas y avoir de vie, de vraie vie, en dehors de la vérité.
En effet, la vraie vie, c’est celle qui consiste à « connaître Dieu tel qu’Il est », ou plus
exactement tel que Jésus nous l’a fait connaître. Car l’être humain projette toujours ses
propres fantasmes lorsqu’il pense à « Dieu », et on imagine un dieu tout-puissant (et en effet
Il l’est !), mais utilisant sa toute-puissance à son profit, exerçant la fonction de juge suprême
pour punir les méfaits, écrasant en quelque sorte sa créature qui n’a qu’à se soumettre. C’est

bien un dieu pareil que présentent toutes les mythologies... et c’est aussi ainsi que l’on peut
interpréter certains passages de l’A. T.
Mais ce n’est pas ce Dieu-là que nous présentent les évangiles. Comme le dit très clairement
et à deux reprises la 1e épître de Jean, « Dieu est amour » (1 Jn 4,8.16). Or qu’est-ce que
l’amour, sinon le désir de se donner entièrement à la personne que l’on aime ? Et c’est ce
que Dieu a fait avec l’incarnation du Verbe : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme
devienne Dieu », comme l’a exprimé saint Athanase d’Alexandrie. Et non seulement Il s’est
fait homme pour rendre visible à nos yeux de chair « qui » est Dieu, c’est-à-dire comment
Dieu est, comment Il se comporte. Nous ne pouvons pas comprendre ce qu’est la nature
divine – nous avons déjà bien assez de peine à définir ce qu’est la « nature humaine » qui est
pourtant la nôtre – mais nous pouvons entendre le témoignage des évangélistes et de tous
ceux qui ont vécu en sa compagnie pendant tout le temps où Jésus était sur terre, qui L’ont
vu mourir sur la Croix et qui ont été témoins de sa Résurrection (cf. Ac 1,21-22). Nous
pouvons entendre comment Jésus a vécu, comment Il a pardonné à la pécheresse, lisant dans
son coeur qu’elle « avait beaucoup aimé » (Lc 7,47), comment Il s’est abstenu de
condamner la femme adultère (Jn 8,11), comment Il a eu compassion des foules « parce
qu’elles étaient comme des brebis sans pasteur » (Mc 6,34) ; nous pouvons écouter ce qu’Il
a enseigné, et réaliser qu’Il a donné sa vie pour nous, s’appliquant ainsi à Lui-même cette
parole qu’Il avait dite : « Personne ne peut avoir un plus grand amour que de donner sa vie
pour ses amis » (Jn 15,13).
En même temps, Jésus nous a révélé que Dieu est Trinité, c’est-à-dire communion d’amour.
Car s’il y a une chose que nous pouvons comprendre du mystère de la Trinité — qui est et
restera pour nous un mystère aussi longtemps que nous serons sur terre — c’est que Dieu
n’est pas enfermé en soi-même comme auto-suffisant, ce qu’Il est néanmoins, mais Il ne
veut pas s’en contenter, car Dieu a justement la volonté d’être « communion ». Ce que nous
pouvons comprendre de la Trinité, c’est que c’est une communion d’amour entre plusieurs
Personnes divines. Dieu est unique, c’est sûr et certain, et nous le confessons dans le Credo
(« Je crois en un seul Dieu »), mais en même temps ce n’est pas un être suprême seul qui
voudrait se suffire à lui-même. La Trinité implique nécessairement à la fois une égalité entre
les Personnes divines et un échange permanent entre elles, ce que nous pouvons appeler «
communion ». En même temps, Jésus nous a aussi révélé que Dieu ne se contente pas d’être
communion entre les Personnes divines, mais qu’Il veut une communion universelle, et que
c’est pour cela qu’Il a créé le monde : Il veut aussi être en communion d’amour avec toutes
ses créatures.

Or, c’est bien cela « la vie éternelle », être en communion totale avec Dieu et avec toutes ses
créatures. Et cela ne nous est possible que par Jésus-Christ. Apprendre à connaître Dieu —
ce que nous ne pouvons faire que par Jésus-Christ —, c’est apprendre à entrer en
communion d’amour universelle, d’abord avec ce Dieu qui nous aime et nous a donné la
vie, et ensuite, à travers Lui et comme Lui, être en communion d’amour avec tout l’univers.
Et cette communion-là ne peut se vivre qu’en dehors de la matière et du temps : c’est
littéralement « la vie éternelle », une vie à laquelle nous sommes tous appelés, invités avec
amour, mais dans laquelle nous ne pouvons entre qu’à condition de le faire librement, car
personne ne peut être forcé à aimer. Et pour arriver à aimer en toute liberté, toute l’histoire
de l’humanité, à commencer par celle que nous expose la Bible, nous rappelle que nous
devons nous libérer de nos « péchés », du désir égoïste de construire notre personnalité
indépendamment des autres, indépendamment de Dieu et les cas échéant même en utilisant
les autres et la nature créée comme des moyens.
Si ce désir égoïste nous apparaît comme naturel, c’est justement parce que nous sommes
nous-mêmes pécheurs et vivons dans un monde de péché, c’est-à-dire dans un monde où
règne le « chacun pour soi ». C’est ce que nous dit le récit de la Genèse à propos d’Adam et
Ève – qui, bien sûr, représentent toute l’humanité, c’est-à-dire vous et moi – et c’est pour
nous montrer le chemin du salut que Jésus est venu sur terre. Le chemin, c’est Lui : « Je
suis la voie, la vérité et la vie. Personne ne vient au Père, si ce n'est par Moi » (Jn 14,6).
Mais par Lui nous découvrons le chemin qui mène vers le Père, le chemin sur lequel nous
accompagne l’Esprit Saint – l’Esprit de Jésus, qu’Il nous envoie de la part du Père (Jn
15,26), et qui nous aide à y voir clair dans nos limites et nos fautes, pour nous en corriger, et
qui nous encourage sur le chemin du salut, celui qui mène à la vie éternelle, c’est-à-dire à
connaître vraiment qui est Dieu et à accepter librement de vivre en communion avec Lui.
Cette vie-là ne peut être qu’éternelle, elle suppose en effet que nous soyons libérés du poids
de nos limites et de nos fautes, ce que nous n’arrivons guère à réaliser aussi longtemps que
nous sommes sur cette terre, elle ne peut que se vivre de la vie même de Dieu, qui est
éternelle, c’est-à-dire totalement en dehors du temps et de la matière. C’est alors que la joie
sera complète, la joie de Dieu, qui n’attend que notre réponse sans réserve à son invitation
de communion d’amour, et la nôtre, car nous aurons alors pleinement réalisé ce que nous
sommes, des créatures infiniment aimées et destinées à aimer. Comme l’a si bien dit Jésus
dans la dernière phrase de l’évangile d’aujourd’hui, au moment d’aller vers le Père : « Je dis
cela dans le monde afin qu’ils aient ma joie complète en eux-mêmes ».