Categories

Vendredi saint - Mise au tombeau

Frères et soeurs dans le Seigneur,
Depuis hier soir nous avons été plongé, presque engloutis, dans les textes de
l'Ecriture qui parlent de la passion de Notre Seigneur Jésus Christ. On a besoin de
silence pour intérioriser la puissance de la parole divine. S'il y en a une qui peut
résumer la signification de la passion du Christ, je crois que c'est celle de saint Paul
aux Galates, là où l'apôtre dit : Il m'a aimé, Il s'est livré pour moi (2, 20b). Et dans
les discussions avec les Corinthiens qu'il exhorte à ne pas devenir une occasion de
chute pour les faibles, il dit que le faible est ce frère pour lequel le Christ est mort (1
Co 8, 11). Est-ce que nous sommes convaincus que Jésus a donné sa vie pour chaque
être humain ? Et que cette preuve d'amour jusqu'à l'extrême ouvre pour l'humanité
des perspectives qu'on ne pourrait jamais obtenir par nos propres forces ?
La Croix du Christ – comme mystère – est contemplée plusieurs fois au cours
de l'année liturgique : il y a la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix et il y a le
troisième dimanche du Carême où elle est vénérée spécialement. En Occident il y a
l'hymne du dimanche des Rameaux 'Vexilla regis'. Aujourd'hui, le Vendredi Saint,
nous faisons mémoire, par l'actualisation des rites liturgiques, de l'Heure de Jésus,
l'Heure de passer de ce monde vers le Père, en nous ouvrant le chemin. Ne cachons
pas le fait qu'il s'agit bien de souffrances réelles d'un homme, le Fils de l'homme.
Saint Jean, il est vrai, contemple déjà la gloire du Ressuscité en parlant de Jésus
livré. Ainsi l'accent est mis sur sa liberté et sa majesté.
Dans les évangiles nous rencontrons plusieurs annonces de la Passion avec
l'injonction faite aux disciples de le suivre dans le renoncement et de se charger de sa
croix. Il s'agit en premier lieu des souffrances – surtout la persécution – à cause de
son Nom. Ainsi les martyrs sont les témoins par excellence de l'imitation du Christ.
Pensons à cet égard aux paroles du Christ vivant à Saul : « pourquoi me
persécuter ? ». Il faut toutefois élargir les dimensions de la présence mystérieuse de
la Croix du Ressuscité, présent dans les membres de son corps. Il y a les martyrs
d'amour que sont les saints vénérés et vénérables, car ils sont allés jusqu'au bout
dans le don de soi. Est-ce que notre vie chrétienne, dans nos régions, y prépare ? Il y
a encore la souffrance humaine en tant que telle, qui a une valeur 'christique', si l'on
peut s'exprimer ainsi. Ce n'est pas une pieuse imagination. Si Jésus s'est identifié,
s'identifie, avec chaque personne dans le besoin, en disant (en Mt 25) : chaque fois
que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits, qui sont mes frères, c'est à moi que vous
l'avez fait, cela a comme conséquence que tous ceux qui souffrent – même pas pour
le Nom du Christ et même sans lien explicite avec Lui – vivent, souvent sans le
savoir, une communion avec la Croix du Christ. Actuellement nous pensons aux
souffrances causées par les guerres : les victimes de quelque côté qu'elles soient,
militaires, civils, enfants, parents qui pleurent, blessés graves, soignants dépassés par
leur tâche, bonnes volontés empêchées d'intervenir avec de l'aide. Notre humanité est

un mélange des pleurs des uns et des duretés et sarcasmes des autres, un mélange de
péché et de vertu. C'est dans ce monde-là que le Crucifié apporte la rédemption.
D'où l'élargissement de la contemplation de la Croix, comme de l'annonce de
la victoire de Pâques. Tout devient très sérieux si l'on est concerné personnellement
ou dans des êtres chers. Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-Tu abandonné ?
(Mt)...Père, entre tes mains je remets mon esprit (Lc). A la suite de Jésus, passons de
l'angoisse à la confiance. La méditation de la Passion nous engage, d'abord en
prenant au sérieux notre suite du Christ en cherchant comment vivre une communion
plus profonde avec lui dans toutes les circonstances de notre vie, les heureuses
comme les douloureuses. Ensuite nous devons regarder autour de nous. On ne peut
pas se résigner tant que des innocents souffrent et que des possibilités d'amélioration
de leur situation existent. Une contemplation de la Croix qui engendrerait le
défaitisme serait malsaine. La vie des saints – ces martyrs d'amour – témoigne autant
du courage d'avoir porté la croix avec le Christ dans leurs épreuves ET de l'énergie
déployée pour soulager les souffrances, ou même de guérir et mettre debout comme
le Christ a fait durant sa vie terrestre. La Croix nous enlève l'illusion d'un triomphe
terrestre de l'Eglise, de la communauté des disciples, sinon on risque de devenir – en
abusant du nom du Christ et de son signe qu'est la Croix – des faux témoins d'une
fausse victoire en persécutant et en voulant propager le Royaume avec la violence.
La seule violence qui plaît à Dieu est celle de l'amour rédempteur. Saint Paul écrit
aux Colossiens : En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que j'endure
pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour
son Corps, qui est l'Eglise (1, 24). Rien ne manque à l'épreuve du Christ, sinon notre
'oui', notre participation, notre engagement. Certes, le salut est don gratuit – c'est par
grâce que nous sommes sauvés (cf. Ep 2, 5b) – mais cela ne nous dispense pas du
bon combat de la foi qui est un combat contre les esprits du mal. Le Seigneur a
voulu nous associer à tout son mystère : la communion à ses souffrances et la
puissance de sa résurrection (cf. Phil 3, 10). L'espérance de la victoire de l'amour de
Dieu sur le mal, ce monde des ténèbres, de l'aliénation par tout ce qui défigure
l'image de Dieu, cette espérance passe par la Croix du Fils, qui s'est offert lui-même
à Dieu , par l'Esprit éternel. (cf. Hé 9, 14a).
Je termine par la bénédiction de saint Pierre (5, 10-11) : Quand vous aurez un peu souf ert,

le Dieu de toute grâce, qui vous a appelés à sa gloire éternelle, dans le Christ, vous rétablira lui-
même, vous af ermira, vous fortifiera, vous rendra inébranlables. A lui la puissance pour les

siècles des siècles ! Amen.