« Et elles ne dirent rien à personne, car elles étaient saisies d’effroi » (Mc 16,8) : c’est vrai non seulement des Saintes Femmes, mais aussi de Joseph d’Arimathie (« disciple en secret » Jn 19,38) et de Nicodème, venu trouver Jésus de nuit (Jn 3) ; après l’arrestation de Jésus, les apôtres se sont aussi dispersés : Pierre a encore tenu un moment, jusque dans la cour du Grand-Prêtre, et il n’y a que Jean qui soit resté au pied de la Croix... avec la Mère de Dieu et les saintes femmes, précisément ! Que les femmes aient été bouleversées devant le tombeau vide, on le comprend aisément, mais les autres évangiles nous disent qu’elles ont bien accompli leur mission d’aller porter la nouvelle aux disciples (Mt 28,8 ; Lc 24,9 ; Jn 20,2.18)... et qu’elles n’ont pas été crues (Lc 24,11) ! Et ne perdons pas de vue que, si ces femmes sont venues au tombeau dès que le sabbat fut passé, c’était pour embaumer le corps de Jésus, un devoir religieux qu’elles voulaient accomplir.
En même temps que les Saintes Femmes, la liturgie de ce dimanche fait mémoire des autres personnages discrets, mais dont le rôle a été indispensable dans l’histoire du salut : Joseph, précisément, grâce à qui le corps de Jésus a pu être mis à part — sinon c’eût été la fosse commune, comme pour tous les condamnés, et donc personne n’aurait pu constater que le tombeau était vide ! —, Nicodème, qui avait apporté cent livres de parfum pour embaumer le corps (Jn 19,39), mais aussi, dans le passage des Actes des Apôtres, les sept diacres, dont le rôle se révèle indispensable dès que la communauté augmente en nombre, non seulement pour le service des tables, mais aussi pour le témoignage et le baptême (Étienne : Ac 6-7 ; Philippe : Ac 8 ; Ac 21,8-9). Et nous devrions y ajouter tous les fidèles qui s’ajoutaient de jour en jour à la première communauté chrétienne (Ac 3-5), anonymes mais bien présents. Tous et toutes, quelle qu’ait été leur discrétion, ont été indispensables dans la vie et la croissance de l’Église.
Or, il est un point à souligner, que l’on perd facilement de vue : les Saintes Femmes, tout comme Nicodème et bien d’autres personnages dont on parle peu dans les évangiles, ont bénéficié des grâces de Jésus : des Saintes Femmes, il est dit qu’elles « avaient été guéries d’esprits malins et de maladies » (Lc 8,2) ; Nicodème, nous savons qu’il est venu de nuit voir Jésus (Jn 3,1-21), et a dû en être profondément touché, pour revenir ensevelir son corps ; les disciples anonymes, parmi lesquels ont été choisis les premiers diacres, ont été témoins des miracles de Jésus, ont participé à la multiplication des pains (Jn 6,1-13), et ils furent parmi ceux qui ne l’ont pas quitté après que Jésus se soit présenté comme « le Pain descendu du ciel », faisant ainsi allusion à l’eucharistie qu’Il allait instituer, alors que beaucoup se sont retirés après avoir entendu ces paroles (Jn 6,44-67). Par la suite, les gens étaient frappés par les miracles accomplis par les Apôtres, comme la guérison du paralytique de la Belle Porte du Temple (Ac 3,1-11), tout autant que par les catéchèses (Ac 2), leurs confessions de foi (Ac 7), et leur bon sens (Ac 5,29 : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes », et la très sage réaction de Gamaliel (Ac 5,34-39 : leur prédication « si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas la dissoudre, et vous risquez de combattre contre Dieu même »).
Mais n’allons pas nous dire que tout cela c’est du passé : la question se pose pour nous aussi ! Qui est Jésus pour nous ? Avons-nous entendu ses paroles et avons-nous conscience d’avoir bénéficié de ses grâces ? Cela ne va pas de soi : si nous ne faisons pas un véritable examen de conscience, non pas pour rechercher nos propres infidélités, mais pour ouvrir les yeux sur ce que Dieu nous a donné, à nous personnellement, sur sa présence en nous, sur ce que notre foi en Lui a pu changer dans nos vies, il est sûr que nous n’aurons aucun témoignage à rendre, et que nous finirons pas nous demander ce que nous faisons à l’église. En tout cas, je dois dire que, en ce qui me concerne, si je fais attention à ce qui s’est passé dans ma vie, je ne puis que reconnaître le doigt de Dieu qui y était constamment présent — mais bien sûr à une condition expresse, à savoir que l’on soit décidé à faire la volonté de Dieu, à accepter ce qui vient comme un signe de sa Providence pour nous, et à nous adapter en conséquence, et non pas regarder Dieu comme une sorte de Père Noël qui devrait s’ingénier à accomplir tous nos désirs ! Car, à bien y regarder — soyons sincères et honnêtes — nos désirs ne sont souvent que la projection de nous-même, ils restent au niveau de cette terre et de ses limites physiques et de temps, alors que Dieu nous appelle à une vie éternelle qui embrasse tout l’univers, qui fait éclater toutes nos limites, et dont le signe le plus évident est le fait que le Fils de Dieu lui-même s’est fait homme et a accepté une mort ignominieuse par amour pour l’humanité. Et sa Résurrection nous a ouvert à tous les portes de l’éternité, à condition que nous l’acceptions librement.
Voilà pourquoi on dit qu’il faut prier : prier, ce n’est pas d’abord adresser à Dieu une liste de demandes ; remarquons d’ailleurs que, dans tous les miracles dont il a été question pour les Saintes Femmes et pour les personnages dont nous avons parlé ce matin, aucun n’a fait l’objet d’une demande, ce fut à chaque fois une grâce accordée par Dieu à quelqu’un qui Le rencontrait ou même qui venait Le trouver pour des raisons spirituelles, comme Nicodème. Prier, c’est avant tout revenir souvent vers Jésus pour L’écouter, essayer de se nourrir de ses paroles pour en vivre, comme l’ont fait les Saintes Femmes, Joseph et Nicodème, les disciples et tous ceux qui s’adjoignaient à la communauté. En un mot comme en cent : aimer le Christ, et par Lui aller au Père et recevoir l’Esprit-Saint qui éclairera notre conscience et nous aidera à intérioriser son enseignement, à comprendre sa Parole et à en vivre. Alors, si on nous interroge, nous pourrons répondre comme l’a fait saint Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as des paroles de vie éternelle ! Et nous, nous avons cru et nous savons que tu es le Christ, le saint de Dieu ! » (Jn 6,69s).
J’ajoute un dernier mot. Nous vivons aujourd’hui dans nos pays une situation qui ressemble assez à celle des premiers chrétiens, au milieu d’une société qui ne connaît plus du christianisme qu’une caricature, et nous avons sans doute parfois l’impression d’être « les derniers des Mohicans ». Comme les premiers chrétiens — et comme en fait tous les chrétiens de tous les temps et de tous les lieux — c’est à nous qu’il revient de rendre témoignage à la Résurrection du Christ, c’est à nous qu’est confiée la prédication — pas nécessairement par la parole, mais surtout par les actes : notre manière de vivre doit être un témoignage vivant de ce que Jésus est ressuscité, de ce qu’Il donne la vie au monde, et que nous vivons de cette Vie qu’Il nous donne. Même si cela suscite chez nos contemporains un sourire amusé, n’ayons pas peur d’aller à l’église, de vivre authentiquement en chrétiens. N’ayons pas peur d’aller au tombeau du Christ le matin de Pâques, en apportant nos parfums, même si d’autres se moquent du corps de ce condamné, n’ayons pas peur de croire que ce Condamné est ressuscité et qu’Il nous donne la vie.