« Heureux les artisans de paix ! » (Mt 5, 9) Bienheureuse béatitude ! … Bienheureuse béatitude qui vient nous rappeler l’urgence qu’il y a à sauvegarder la paix alors que guerres et actes de violence se multiplient à travers le monde. Toujours souhaitée, souvent malmenée, la paix est en proie aux tensions nationales et internationales, familiales et communautaires, personnelles aussi, notre cœur n’étant pas toujours à l’abri du trouble et de l’agitation. Ce qui met constamment la paix en péril, que ce soit dans le monde ou dans notre cœur, se résume en peu de mots : « conflit d’intérêts ». Déjà, saint Augustin remarquait que « deux amours ont bâti deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre ; et l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité céleste ».
Ardemment désirée par tant d’hommes et de femmes de notre temps et de tous les temps, la paix est partout mentionnée. Salutation habituelle du peuple juif, elle devient pour Jésus ressuscité et ses disciples la salutation pascale par excellence. Elle ponctue l’histoire sainte tout au long des deux testaments, et la liturgie la reprend sous différentes formes.
Elle fut chère à saint Benoît qui en recommande la recherche assidue dès le Prologue de sa Règle (Pr 17), et ce au point qu’elle en est devenue la devise des bénédictins. Encore aujourd’hui, le grand porche d’entrée du Mont-Cassin restauré, ce haut lieu d’histoire bénédictine, est surmonté de ce simple mot Pax, Paix ! Et souvenons-nous de tous ces monastères qui, à travers l’Europe, ont porté le beau nom de Paix-Dieu. On pourrait parler d’une Pax benedictina comme on parle d’une Pax romana.
« Heureux les artisans de paix » Exigeante béatitude qui nous rappelle que bien qu’elle nous soit donnée par le Seigneur lui-même, la paix n’en est pas moins fragile et toujours à conquérir. Désarmante béatitude qui nous rappelle que paradoxalement il nous faut combattre pour la maintenir et que ce combat, dans le monde comme dans notre cœur, est permanent.
« Recherche la paix et poursuis-la » (Ps 33, 15), c’est donc ce que recommande saint Benoît à celui qui veut répondre à l’appel du Seigneur cherchant son ouvrier dans la foule (Pr 17). Saint Pierre, s’adressant aux premières communautés chrétiennes ne dit pas autre chose, reprenant cette même exhortation du psalmiste et les invitant à vivre « en esprit d’union, dans la compassion, l’amour fraternel, la miséricorde, l’esprit d’humilité » (1 P 3, 8-9), ce que, pour sa part, saint Paul développe à maintes reprises dans ses lettres. Ce sont là autant d’éléments que l’on retrouve dans la Règle de saint Benoît et qui nous rappellent que la vie monastique n’est rien d’autre que la vie chrétienne.
Rechercher la paix et chercher Dieu, c’est tout un pour le moine, pour le chrétien. Et la paix, loin d’être seulement la simple absence de guerre, est d’abord un « être avec », un être avec le Christ qui nous a donné sa paix (Jn 14, 27), qui est lui-même notre paix (Ep 2, 14), et le Dieu de la paix auquel se réfère saint Paul n’est autre que le Dieu de Jésus-Christ. Il s’agit pour nous de nous recentrer sur le Christ, dans le Christ, ce Dominus, ce Seigneur, qui traverse toute la Règle de saint Benoît, et à l’amour duquel il ne faut rien préférer, pour trouver la paix et continuer à la chercher. Quaeremus inventum, dit encore saint Augustin, « cherchons celui que nous avons trouvé » !
« Heureux les artisans de paix ». Quel art bien difficile, quel travail ardu que celui de la paix ! Et au monastère, cet atelier où il nous faut travailler à l’art spirituel, comme le définit saint Benoît, et par ailleurs réputé comme un lieu de paix dans ce monde de turbulences, tout est disposé pour contribuer à cette paix, pour autant que l’on veuille s’en donner la peine et que l’on passe aux actes sans se perdre en paroles creuses. Le silence aussi contribue à la paix tant intérieure qu’extérieure. La quête de la paix et du Dieu de la paix se concrétise au quotidien, en priorité dans la recherche du Royaume de Dieu, mais aussi dans le zèle pour l’office divin, l’obéissance et les services en communauté. Saint Benoît n’en est pas moins conscient que des épines de discorde peuvent surgir (RB 13, 12) et qu’il nous faut retrouver la paix entre frères, dans le pardon donné et reçu comme nous y induit la prière du Notre Père.
« Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu ». Bénédiction, encouragement, promesse, cette béatitude nous met en mouvement et nous engage in viam pacis, au chemin de la paix, selon la belle expression du Cantique de Zacharie (Lc 1, 79). Que le souhait de saint Paul aux Colossiens soit aussi pour nous et « que la paix du Christ règne dans [nos] cœurs : tel est bien le terme de l’appel qui [nous] a rassemblés en un même Corps. Enfin [vivons] dans l’action de grâces ! » (Col 3, 15)