La fête de ce jour nous replonge dans le mystère de la Nativité du Seigneur qu’elle parachève en la situant dans la perspective du mystère pascal de Mort et de Résurrection, car, comme le dit Syméon, « cet enfant […] sera signe de contradiction » (Lc 2, 34). Quant à Marie, un glaive lui transpercera le cœur (Lc 2, 35). Joie et douleur, ombre et lumière se côtoient en cette fête, comme tout au long de la vie du Sauveur.
Cette fête rappelle aussi que le temps de l’accomplissement des promesses est arrivé. Et c’est de nouveau Syméon qui le souligne en son cantique aussi dense que bref : « Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole » (Lc 2, 29). Selon ta parole … Dieu a parlé, Dieu a promis, Dieu est fidèle. Comme le chante le psalmiste : « Il parle et cela est » (Ps 33, 9). En Dieu, la parole et l’action se confondent. « Et le Verbe s’est fait chair » nous dit saint Jean au Prologue de son évangile (Jn 1, 14), ajoutant, dans sa première lettre, l’avoir entendu, vu, contemplé, touché (1 Jn 1, 1) … et c’est pourquoi, il l’annonce afin que notre joie soit parfaite (1 Jn 1, 4).
Aujourd’hui, c’est Syméon, venu au Temple poussé par l’Esprit, qui le reçoit dans ses bras, le touche et le contemple ce Verbe fait chair, « lumière pour éclairer les nations » (Lc 2, 32). « Le Verbe était la lumière véritable qui éclaire tout homme », nous dit encore saint Jean (Jn 1, 9), et il poursuit : « nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique » (Jn 1, 14). « Et gloire de ton peuple Israël » chante encore Syméon (Lc 2, 32).
Au carrefour des deux testaments, à l’aube des temps nouveaux, tandis que s’accomplit sous leurs yeux la promesse du salut, le vieillard Syméon et la non moins âgée prophétesse Anne, s’ils peuvent symboliser l’attente des siècles en raison de leur grand âge, appartiennent aussi à ce courant spirituel des « pauvres de Dieu », les anawim, petit reste de fidèles auxquels s’adresse de façon toute particulière la première béatitude : « Heureux les pauvres de cœur, le royaume des Cieux est à eux » (Mt 5, 3). Et tout autant pour Syméon, homme juste et pieux qui attend la consolation d’Israël, mais aussi pour Anne attendant la délivrance de Jérusalem, ces autres béatitudes qui proclament heureux ceux qui pleurent et ceux qui ont faim et soif de justice parce qu’ils seront consolés et rassasiés (Mt 5, 5-6). Enfin, heureux sont-ils parce qu’ils voient et entendent ce que bien des prophètes et des rois ont voulu voir et entendre et ne l’ont ni vu ni entendu (cfr Lc 10, 23-24). Cette béatitude, qui n’appartient pas au groupe traditionnel des huit rapporté par l’évangéliste Matthieu, se trouve dans l’évangile de Luc, immédiatement après le passage où il est dit que Jésus tressaille de joie sous l’action de l’Esprit Saint parce que le Père a révélé ces choses, c’est-à-dire le mystère du salut réalisé en sa personne, aux tout-petits (cfr Lc 10,21-22). En cette fête, la joie du salut nous est annoncée, la joie du salut nous est donnée, même si elle n’exclut pas la douleur et la persécution encourue par le Christ lui-même et ses disciples à travers les âges.
Porteurs et témoins d’une attente séculaire, envers et contre tous les aléas de l’histoire, ces « pauvres de Dieu » que sont Syméon et Anne nous invitent à chercher le Seigneur et à le désirer de tout notre cœur. Le voilà qui vient au milieu de son temple, à notre rencontre, comme Jésus ressuscité vient au milieu de ses disciples (Lc 24, 36), et comme il promet lui-même d’être au milieu de deux ou trois réunis en son nom (Mt 18, 20).
Selon ta parole … en cette fête de la Présentation du Seigneur à laquelle le pape Jean-Paul II a voulu associer la journée mondiale de la vie consacrée, comment ne pas nous rappeler nous qui nous sommes engagés dans cette voie, le chant de notre profession Suscipe me, Domine … « Reçois-moi, Seigneur, selon ta parole, et ne me déçois pas dans mon attente ». Nous avons là, comme pour Syméon et tous ceux dont il se fait le porte-parole, l’expression d’une totale confiance dans la Parole de Dieu, dans le Seigneur qui vient. C’est un acte de foi, d’espérance et d’amour. Puissions-nous nous en réjouir, et fidèles à l’appel de Dieu, gardons-nous, sous l’effet d’une crainte subite ou de la lassitude que peut engendrer la durée, de perdre courage et de quitter ce qui est pour nous la voie du salut. Puissions-nous courir au souffle de l’Esprit et le cœur dilaté dans la voie des commandements du Seigneur, dans un total abandon à sa volonté et « participer par la patience aux souffrances du Christ pour avoir part à son royaume » (cfr RB, Pr. 48-50).