« Voici le jour que fit le Seigneur » ! Ce verset du psaume 117 (v. 24) que nous chantons à Pâques, nous pouvons encore ou déjà le chanter aujourd’hui, non seulement parce que c’est dimanche et que nous célébrons la Pâque hebdomadaire, mais parce que c’est Noël et qu’« aujourd’hui nous est né un Sauveur qui est le Christ Seigneur » (Lc 2,11). Noël et Pâques, Pâques et Noël : le mystère du Salut est un ! Et l’évangéliste Luc ne s’y est pas trompé. On relève chez lui des correspondances entre le récit de la Nativité et celui de la Résurrection : la présence des anges, la stupeur des bergers et des disciples, les langes et le linceul, l’absence de place dans la salle commune et le tombeau hors de la ville, la mangeoire et le lieu où a reposé Jésus, l’envoi à la rencontre du Seigneur nouveau-né et ressuscité. Il n’est pas jusqu’à cette Paix qu’annoncent les anges et que donne Jésus à sa façon, qui ne se retrouve de part et d’autre. Autant d’indices qui disent la conscience que Luc a de l’étroite parenté entre les deux événements, l’un se lisant à la lumière de l’autre. Comme le dit Henri de Lubac, « Jésus n’est pas venu faire “œuvre d’incarnation”, mais le Verbe s’est incarné pour faire “œuvre de rédemption” »
Qu’il s’agisse du jour, de l’aujourd’hui, de l’heure ou encore de l’instant favorable, c’est toujours le temps du Salut ! Et ce Salut a pour objet la Vie que Dieu nous donne en surabondance dans son Fils nouveau-né et ressuscité (cfr Jn 10, 10). Car nouveau-né, Jésus l’est au sortir du sépulcre, comme il l’est au sortir du sein de la Vierge Marie, l’Esprit Saint couvrant l’un et l’autre événement de son ombre. Il est frappant de voir que la liturgie se saisit des mêmes versets, que ce soit au psaume 2 ou au psaume 18, pour ne citer que ceux-là, afin de désigner la naissance et la résurrection du Seigneur, et ses noces avec l’humanité, ainsi que nous venons encore de le chanter au cours des Vigiles qui ont précédé cette Messe : « Comme un époux, le Seigneur est sorti de la chambre de ses noces » ou encore « Le Seigneur m’a dit : tu es mon Fils, aujourd’hui, moi je t’ai engendré ».
Le jour, l’aujourd’hui, l’heure, l’instant … toujours ce mystère du temps que Dieu vient combler de son éternité. La divinité fait irruption dans l’humanité pour la mener à sa pleine stature. Le Tout-Autre se fait Tout-Proche dans l’enfant de Bethléem, Emmanuel, Dieu-avec-nous, et ce faisant, Il reste plus que jamais Tout-Autre parce qu’il échappe à notre entendement, à l’idée que l’on peut se faire de Dieu, et d’un Dieu sauvant son peuple « à main forte et à bras étendu » (Dt 4, 34) comme les disciples espéraient que Jésus allait délivrer Israël (Lc 24, 21) et que nous voudrions encore le voir agir pour mettre fin aux guerres qui déchirent notre monde.
Or cette naissance du Fils de Dieu dans une étable est comme la brise légère ressentie par le prophète Élie lorsque Dieu se manifeste à lui à la montagne de l’Horeb (1 R 19, 11-13). On est loin de la théophanie fracassante que sur ce même Mont Horeb Dieu a fait voir et entendre à Moïse (Ex 19, 16-20). Jean-Baptiste dans sa prison est tout aussi perplexe devant la façon d’agir de ce Messie « doux et humble de cœur » (Mt 11, 29) et lui fait demander s’il est bien celui qui doit venir (Mt 11, 2-6). On connaît la réponse de Jésus qui le renvoie aux Écritures comme, après sa résurrection, il ouvrira l’esprit de ses disciples à leur intelligence en expliquant tout ce qui le concernait (Lc 24, 27. 44-45). C’est ainsi que Dieu nous comble au-delà de nos attentes.
Laissons-nous donc interpeller, voire dérouter, par ce Dieu dont la véritable grandeur est dans la petitesse et qui se laisse approcher dans sa Parole écoutée, méditée et mise en pratique, dans son Corps et son Sang partagés en action de grâces sous les espèces du pain et du vin, et en chacun de ces plus petits de ses frères qui errent de par le monde, nus, malades, assoiffés, affamés, privés de liberté, … (Mt 25, 31-40) dont toutes les fragilités se trouvent rassemblées dans cet Enfant qui nous est donné (Is 9, 5), cet Enfant, porteur de joie, de paix et d’espérance … Et que notre cœur soit tout brûlant en le reconnaissant … (cfr Lc 24, 32)
