Frères et sœurs dans le Seigneur,
Chaque année, l’histoire de Zachée nous touche sur notre chemin entre le cycle de la Nativité et celui du pré-carême. Zachée cherche à voir Jésus qui passe à Jéricho. Il est curieux de voir ce prophète et thaumaturge. Est-ce qu’il est en recherche, comme nous disons actuellement ? Peut-être. En tout cas, il ne se doute pas qu’une rencontre avec le Christ aura lieu ce jour-là ! Jésus, lui, voit en Zachée une disposition positive, une ouverture, un désir d’un mieux. Le regard du Seigneur se pose sur cet homme caché dans son arbre, où il pense pouvoir tout observer sans être vu. Jésus connaît le cœur de chacun d’entre nous ; Il nous regarde avec l’attente de pouvoir pénétrer dans la maison de notre vie.
Zachée, descends vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi. Voilà la parole inattendue, l’initiative gratuite. Pas de petit sermon mais une auto-invitation. Il faut être le Messie, Fils de l’homme et Fils de Dieu, pour agir ainsi. Derrière l’avidité de ce publicain qui remplissait ses poches, se cachait une soif de bonheur, un désir de vie en plénitude ; il reste fils d’Abraham, fils de celui qui a cru en les promesses inébranlables du Dieu d’Israël. En terre chrétienne on dirait qu’il est resté membre du Corps du Christ par son baptême, qui ne joue pas de grand rôle dans sa vie. – Zachée accepte d’être l’hôte de Jésus et le reçoit avec joie. La joie est ici le signe d’une vie nouvelle qui commence, d’une grâce qui est en train d’être reçue, d’une transformation de la personne qui est en cours. Joie qui contraste avec les murmures des bien-pensants, qui se croient justes et qui ont leur jugement clair et net sur un type comme Zachée. Une tristesse de ce genre est souvent le signe d’un malaise profond. S’ils connaissaient le Dieu de l’Alliance avec Abraham, Celui qui a parlé par les prophètes qui annoncent le cœur nouveau rempli de l’esprit du Seigneur, alors ils devraient pouvoir se réjouir de ce qui est en train d’arriver. Les murmures de la frustration de ceux qui ont labouré toute la journée et qui constatent avec étonnement que le maître de la vigne donne la même somme aux travailleurs de la dernière heure. C’est une réalité dans nos vies, frères et sœurs. C’est une matière à travailler, à convertir. C’est peut-être aussi un sujet de réflexion pour toutes les Eglises chrétiennes. Connaissons-nous encore l’émerveillement devant l’initiative divine du salut ?
Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres… Encore un signe de la joie comme fruit de l’Esprit : la liberté du don, de la part de Zachée. Et Jésus ne lui a rien demandé ! La simple rencontre avec le Christ a tellement élargi le cœur de notre homme, qu’il opte spontanément, poussée intérieurement, pour le partage et un au-delà de la stricte justice, car il va rendre au quadruple ce qu’il a extorqué. Pas besoin de cours de morale naturelle ou de doctrine sociale ici. C’est la Loi qui est inscrite par le doigt de Dieu, dans son cœur. C’est sa conscience qui s’éveille. Il a trouvé un autre trésor : l’amitié, l’attention du Christ pour sa personne, pour sa maison. Jésus n’a pas prononcé de paroles de pardon de péché en cette situation. Il s’est invité, c’est tout. Et Zachée a dit ‘oui’. C’est si simple.
Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison. Le salut est un terme-clef de la révélation biblique, terme qui s’est constitué à partir de l’expérience humaine d’être tiré d’un danger, d’être libéré, d’être guéri. Le salut est si riche en signification, qu’il peut vouloir dire autant la santé de l’âme et du corps, la sainteté, la réconciliation avec Dieu, la vie filiale de la grâce. C’est une situation englobante de bonheur en Dieu, pas toujours ressenti mais présent et agissant. Le salut entre dans la maison de Zachée dans l’acte même de recevoir le Christ chez lui, et du coup dans tout ce que cette maison rassemble et symbolise – tout ce qui fait son quotidien : il se laisse sauver par Dieu. L’essentiel est là : il a accueilli avec joie la bonne nouvelle du Royaume. Le salut est le but de la vie et de l’action de Jésus. Saint Paul dira à Timothée (1 Tm 4, 10) : nous avons mis notre espérance dans le Dieu vivant, le Sauveur de tous les hommes.
Aujourd’hui : c’est maintenant le jour du salut (2 Co 6, 2). Il y a dans l’évangile une possibilité d’immédiateté dans la réalisation de la promesse de Dieu d’être le Sauveur des hommes. Ce n’est pas pour plus tard, c’est offert en ce moment présent. Jésus passe à Jéricho aujourd’hui et Il lève les yeux pour voir si nous sommes là dans l’arbre qui symbolise notre petit effort pour sortir de notre être renfermé. Notre foi sommeillant peut s’éveiller à chaque instant et la joie du salut peut renaître. Deux remarques. Dans l’évangile le Christ est formel : le salut est impossible aux hommes, il y faut un acte de la toute-puissance de Dieu. C’est dans la mesure où nous acceptons de perdre notre petite vie égocentrique que notre vie sera sauvée par Dieu et pour la vie éternelle. C’est la grâce du Seigneur Jésus qui sauve, disent encore les Actes (15, 11). On pourrait multiplier les citations. Ensuite, si le christianisme est la voie du salut, c’est une voie de l’espérance du salut total et définitif. Nous ne sommes pas encore au bout du chemin à parcourir. Saint Paul a des expressions surprenantes à cet égard, là où il dit aux Romains (8, 24) que « notre salut est objet d’espérance » et surtout en écrivant ceci aux Philippiens (2, 12) : « travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut ». Ceci ne contredit qu’en apparence ce qu’on a dit sur la gratuité du don de Dieu. C’est l’autre aspect de la transformation : la liberté humaine qui répond à l’initiative divine. Et là aussi c’est chaque jour que nous commençons, que nous recommençons l’œuvre de Dieu. Notre Zachée connaîtra peut-être des rechutes ou au moins des tentations dans la ligne de sa vie antérieure. Il devra alors se souvenir, dans le sens fort de faire mémoire, de ce jour de la rencontre décisive avec le Messie dont la présence a rempli sa maison d’une joie indicible. – Je termine par une citation de Ch. Péguy : « On ne se sauve pas seul. On ne rentre pas seul à la maison du Père. On se donne la main. Le pécheur donne la main au saint et le saint donne la main à Jésus ». (cf. O. Clément, Sources, p. 273)