In hoc signo vinces ! Par ce signe tu vaincras ! Ce signe, c’est la croix ! La croix vivifiante que nous fêtons aujourd’hui glorieuse et victorieuse.
In hoc signo vinces ! Cette maxime a été rendue célèbre par l’apparition à l’empereur Constantin d’une croix en plein soleil et l’assurance qui lui fut donnée en songe par le Christ qu’il l’emporterait dans la bataille malgré le nombre inférieur de ses troupes. Cela devait le conduire à la conversion, et bien plus tard au baptême. Il ne s’agit pas ici d’en relater l’histoire ni même d’épiloguer sur le rôle de Constantin dans les dérives ultérieures d’une Église au pouvoir. Il ne s’agit pas davantage de l’Empire chrétien, mais du Royaume de Dieu, bien qu’on ait voulu ou même qu’on ait pu, à certaines époques de l’histoire, les faire coïncider. Rappelons toutefois que l’Édit de Milan promulgué par Constantin en 313 est un édit de tolérance qui accorde au christianisme la liberté de culte à l’égal des autres religions et non sa suprématie sur elles. La liberté religieuse, la tolérance, pour ne rien dire de la laïcité, voilà des thèmes qui sont chers à notre société pluraliste et qui reviennent régulièrement dans le débat en ce siècle à maints égards semblable à celui de Constantin.
Mais laissons là le récit et le débat, et les statistiques d’un christianisme mondial concurrencé par d’autres religions et lui-même subdivisé en plusieurs confessions. Là n’est pas la victoire de la croix quoi qu’on puisse en dire ! De toute évidence, la croix ne s’impose pas par la force et la violence, ni même par un succès apparent et une subtile comptabilité, c’est une erreur de le penser et de l’avoir pensé, alors que l’Évangile dit tout le contraire. Par trois fois, Jésus annonce sa Passion, au grand dam des apôtres qui ne comprennent pas. Il n’est pas jusqu’au fougueux Jean-Baptiste, précurseur du Messie, qui, du fond de sa prison, ne lui fasse demander s’il est bien celui qui doit venir.
Avant d’être un signe de victoire, la croix est le signe d’un Royaume qui n’est pas de ce monde, comme le dit Jésus à Pilate (Jn 18, 36), après l’avoir tant de fois répété aux foules voulant le faire roi (cfr Jn 6, 15) dans l’espoir qu’il délivrerait Israël du joug de l’envahisseur romain (cfr Lc 24, 21). Mais l’adversaire dont Jésus libère par sa croix est d’un autre ordre ; c’est l’antique ennemi, le Satan, le tentateur et le diviseur, celui qui cherche à nous séparer de Dieu et de nos frères, et le dernier ennemi, c’est la mort. Et le Royaume dont Jésus annonce la présence parmi nous se répand tout en douceur au rythme des Béatitudes. Il appartient aux pauvres de cœur, aux doux, aux persécutés pour la justice, et pour le Christ quand la croix, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, est objet de dérision universelle.
Avant d’être un signe de victoire, la croix est un « signe de contradiction selon l’Évangile », pour reprendre la belle expression de frère Roger Schutz, le fondateur de Taizé. Être signe de contradiction selon l’Évangile, c’est bien là une façon de prendre sa croix et de se mettre à la suite de Jésus, comme il nous y invite, et de vaincre tout ce qui sépare de Dieu et du prochain. La croix est dynamique, elle s’élance vers le ciel et embrasse la terre, les réunissant en un seul amour. Car il n’y a d’autre victoire que celle de l’amour, l’amour de ce Dieu qui a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique pour le sauver. C’est tandis qu’il parle de son élévation en croix que Jésus fait cette révélation (cfr Jn 3, 13-18).
Mais cette croix, qui nous donne la victoire, ne nous épargne pas le combat. Et ce combat est celui de la conversion, d’un total abandon à la volonté de Dieu, nous faisant, à la suite et à l’imitation de Jésus, humbles et obéissants (cfr Ph 2, 8). La première victoire de la croix est dans le cœur de l’homme, dans le cœur de chacun, de chacune d’entre nous. C’est la fidélité à un baptême que la plupart d’entre nous ont reçu dès l’enfance, quasiment à la naissance. C’est le fruit d’une adhésion de foi personnelle, avant d’être un comportement social, fût-il ecclésial et soutenu, encouragé par la communauté. Triomphe de l’amour, le triomphe de la croix est aussi le triomphe de la foi. Que l’on pense au centurion qui, voyant mourir le crucifié, s’écrie : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu » (Mc 15, 39). Et que l’on pense à saint Paul, ce héraut de la croix du Christ, qui, au soir de sa vie, écrit à son disciple Timothée : « J’ai combattu jusqu’au bout le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. » (2 Tm 4, 7) Et il ajoute : « Et maintenant, voici qu’est préparée pour moi la couronne de justice, qu’en retour le Seigneur me donnera en ce Jour-là, lui, le juste Juge, et non seulement à moi mais à tous ceux qui auront attendu avec amour son Apparition » (2 Tm 4, 8).
Que la fête de ce jour soutienne en nous ou, si besoin en est, réveille en nous l’amour de la croix. Que la croix soit notre unique fierté et que, malgré nos faiblesses et notre fragilité, elle nous donne la victoire sur tout ce qui sépare de Dieu. Alors vraiment, par ce signe, nous vaincrons !