C’est dimanche, jour de résurrection. Nous faisons mémoire de la résurrection du Seigneur, et ce 15 août, nous fêtons aussi la glorification de la Vierge Marie, autrement dit sa Dormition et son Assomption, selon les termes traditionnels des Églises d’Orient et d’Occident. Heureuse coïncidence qui nous permet de célébrer en cette Pâque hebdomadaire le passage à la Vie de la Mère de Jésus. La Mère suit les traces du Fils. Et si l’humble servante du Seigneur - comme elle se désigne elle-même - a eu l’âme transpercée d’un glaive, selon la prophétie du vieillard Syméon (Lc 2, 35), tandis que son Fils, le serviteur souffrant annoncé par le prophète Isaïe (Is 49, 1-6), était mis en croix, elle partage aujourd’hui la gloire de ce même Fils que Dieu a ressuscité des morts et élevé dans les cieux où il est assis à la droite du Père. « Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, nous dit saint Paul, recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu. Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre. En effet, vous êtes passés par la mort, et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu. » (Col 3, 1-3) Marie n’a jamais cherché que les réalités d’en haut. La Mère et le Fils sont inséparables dans l’accomplissement de l’unique volonté de Dieu, de son dessein de salut pour toute l’humanité.
Oui, le mystère de Marie est indissociable du mystère de Jésus dont il reçoit toute sa lumière. « Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. […] elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations […]. L’enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son Trône » (Ap 11, 1. 5) Vision grandiose de l’apôtre et évangéliste Jean, celui-là même qui, au pied de la croix, reçut Marie pour mère des mains percées du Crucifié. Vision grandiose qui nous laisse entrevoir dans le mystère de Marie, le mystère de l’Église dont elle est la figure, mystère lui aussi indissociable du mystère de Jésus puisque jailli de son côté ouvert sur la croix, et que l’une et l’autre, l’Église comme Marie, sur lesquelles repose l’Esprit Saint, sont appelées à rendre le Christ présent au monde.
De la mort comme de la naissance de Marie, l’Écriture ne souffle mot. Du peu qu’elle dit de sa vie, - et nous avons tous présent à l’esprit l’Annonciation, la Visitation, la Nativité de Jésus, sa Présentation au Temple, le pèlerinage à Jérusalem quand Jésus eut 12 ans, les noces de Cana, le Calvaire et le Cénacle, relativement peu de choses dans l’ensemble des Évangiles, - de ce peu, la piété des chrétiens a tiré profit pour dresser la physionomie spirituelle de Marie. Cette même piété a comblé les vides en relatant sa conception, sa naissance, sa présentation au Temple, sa mort et son enlèvement au ciel à partir de précédents bibliques, autant d’étapes de l’histoire du salut et d’une vie toujours cachée en Dieu. Méditation aimante, pour ne pas dire amoureuse, et réflexion théologique ont mis en évidence ce que Marie elle-même disait à sa cousine Elisabeth : « Le Puissant fit pour moi des merveilles ; saint est son nom ! … toutes les générations me diront bienheureuse » (Lc 1, 49. 48). Oui, Marie est bien de ces pauvres de cœur et de ces cœurs purs, sans partage, doux et artisans de paix auxquels est promise la béatitude proclamée par Jésus au début de sa mission.
Bienheureuse, elle l’est encore de façon bien plus éminente, non tant pour avoir porté dans son sein et allaité le Fils de Dieu, comme le crie cette femme dans la foule, mais pour avoir écouté la Parole de Dieu et l’avoir gardée (Lc 11, 27), comme cette autre Marie, de Béthanie, dont nous avons entendu le récit (Lc 10, 38-42). Élue de Dieu qui a posé son regard sur elle, Marie de Nazareth a choisi la meilleure part en prononçant un oui sans réserve au dessein de Dieu. En aimant Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, elle a donné vie à sa Parole qui s’est faite chair en elle. Et pour une mère, quelle est la meilleure part sinon son enfant ? Si elle a pu croire un instant au Calvaire que cette meilleure part lui était enlevée, elle a bien vite su qu’elle lui était rendue, et qu’il en irait pour elle comme pour les disciples : son fils Jésus, ressuscité des morts, serait avec elle « tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Aujourd’hui, cette promesse s’accomplit en plénitude pour Marie, et celle que Dieu a donnée pour mère à son Fils unique le rejoint là où il est, auprès du Père, afin de contempler et de partager sa gloire, gloire qu’il a reçue dès la fondation du monde et qui nous est à tous promise (cfr Jn 17, 24).
La glorification de Marie nous est un gage supplémentaire que Dieu est fidèle à sa Parole, cette Parole qu’il nous est donné d’écouter et de garder, de recevoir et de rechercher comme « l’unique nécessaire » et la « meilleure part » qui ne nous sera pas enlevée.