« S’il cherche vraiment Dieu … » (RB 58, 7). Ainsi s’exprime saint Benoît à propos du candidat à la vie monastique. Chercher Dieu, tout le moine est là parce que tout le chrétien est là, la vie monastique ne constituant qu’un moyen particulier, privilégié si l’on veut, de cette recherche. Chercher Dieu partout et en tout, en tous ! Ne pas se lasser de le chercher. On se souviendra de l’adage de saint Augustin : Quaeremus inventum, « Cherchons Celui que nous avons trouvé ». C’est une dynamique de toute la vie, pour toute la vie … qui nous pousse à aller de l’avant, disciple à la suite du Maître. Car telle est bien la première question que Jésus pose aux deux disciples qui, sur l’indication de Jean le Baptiste leur désignant l’Agneau de Dieu, se sont mis à le suivre : « Que cherchez-vous ? ». Et la réponse fuse immédiatement : « Seigneur où demeures-tu ? ». Telle est aussi la question posée par le Ressuscité à Marie de Magdala au matin de Pâques : « Qui cherches-tu ? ». Si Jésus, aux jours de sa chair, a été cherché par qui se mettait à la recherche de Dieu, il doit aussi l’être aujourd’hui, après sa mort et sa résurrection, alors qu’il est près de Dieu, « dans le sein du Père » (Jn 1, 18). La recherche de Dieu est constitutive de notre être chrétien, de notre être monastique.
Mais qu’est-ce que chercher Dieu sinon correspondre à la recherche de l’homme par Dieu et répondre à son appel. Saint Benoît ne s’y trompe pas qui, dès le Prologue de sa Règle, nous dit que le Seigneur cherche son ouvrier dans la foule (Pr 14). Cette recherche de l’homme, Dieu, qui nous a aimés le premier (1 Jn 4, 19), l’a entreprise dès le commencement. Et la première question qu’il pose à l’homme après la chute, c’est : « Où es-tu ? » (Gn 3, 9). Dieu s’est mis en quête de l’homme pour le ramener à lui, multipliant les moyens sans jamais se lasser, comme le dit l’auteur de la lettre aux Hébreux : « Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils qu’il a établi héritier de toutes choses » (He 1, 1-2). Pour nous désormais, la recherche de Dieu se fait recherche de Jésus, de ce Fils unique du Père venu à la rencontre des hommes en se faisant homme lui-même. En lui, le Père est désormais visible : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9). C’est en lui aussi que le Père se fait audible, que désormais il se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » (Mc 9, 7).
Chercher Dieu : chercher le Père et écouter le Fils. Ce n’est pas pour rien que la Règle de saint Benoît commence par ce mot « Écoute » et que les verbes marquant cette écoute martèlent tout le Prologue comme un appel pressant à se mettre à la recherche de Dieu, à la suite du Christ. « Écoute, mon fils, les préceptes d’un si bon Maître … ». Tour à tour, les commentateurs ont notamment vu dans ce Maître Jésus le Fils, ou l’Esprit Saint, l’un et l’autre tournant vers le Père ceux qui les écoutent. Écoute toute intérieure (« incline l’oreille de ton cœur ») qui touche et retourne toute la personne.
Pour saint Benoît, on ne se paie pas de mots, et il y a lieu de voir si ce chercheur de Dieu est attentif à l’œuvre de Dieu, à l’obéissance et aux humiliations. Plus large que la seule prière liturgique, l’œuvre de Dieu embrasse ici toute la vie religieuse, autrement dit cette imitatio Christi, cette imitation du Christ à laquelle engage la vie selon l’Évangile. L’obéissance, qui est l’écoute mise en pratique, n’en est guère très éloignée. Elle dépasse de beaucoup, sans pour autant l’exclure, l’exécution d’un ordre donné, la simple relation d’un inférieur à un supérieur ou la simple attention les uns aux autres puisque pour saint Benoît, les frères s’écouteront les uns les autres, s’obéiront les uns aux autres. Elle se place dans le contexte plus large de l’obéissance de la foi, expression de notre adhésion au Christ, qui donne toute sa cohérence à notre engagement de vie. C’est dans la fidélité à cet engagement que l’obéissance prend tout son sens. Les humiliations, loin d’être des tracasseries artificielles suscitées au nom d’une ascèse mal comprise, relèvent plutôt de l’exécution de tâches humbles et des contrariétés de la vie qui peuvent surgir à tout moment et être autant de croix, petites ou grandes, à porter. On le voit, la recherche de Dieu est loin d’être un long fleuve tranquille. La recherche de l’homme par Dieu ne l’est pas moins, tributaire qu’elle de tant d’inconstance de notre part. L’une et l’autre passent inévitablement par la croix. C’est ce qui en fait une expérience pascale, une expérience de passage, et pour nous, également de conversion.
Saint Benoît en est conscient qui dès le départ invite celui qui s’engage dans cette voie, à ne pas se décourager devant ce qui est rude et pesant (cfr Pr 46), et l’assure « qu’à mesure que l’on progresse dans la vie religieuse et dans la foi [comprenons : dans la recherche de Dieu], le cœur se dilate, et l’on court dans la voie des commandements de Dieu, avec la douceur ineffable de l’amour » (Pr 49). La recherche de Dieu est le fruit d’un amour, amour de Dieu pour l’homme, amour de l’homme pour Dieu. « J’ai cherché celui que mon cœur aime » dit l’épouse du Cantique des cantiques (3, 1).
« Chercheurs de Dieu que vive votre cœur ! » (Ps 69, 33)