Jésus entre à Jérusalem. Les quatre Évangiles nous en donne le récit. Cette année, nous entendons celui de Marc, sobre comme toujours. C’est en substance ce que Matthieu et Luc reprendront, chacun à sa façon, avec les nuances qui leur sont propres. Comme alternative à la lecture de Marc, il nous est aussi donné la possibilité d’entendre le récit de Jean.
Il y a les faits et il y a leur interprétation. C’est Jean qui nous en donne la clé en interprétant la prophétie de Zacharie (9, 9), qu’il cite tout comme Matthieu, mais en l’écourtant : « Ne crains pas, fille de Sion. Voici ton roi qui vient, assis sur le petit d’une ânesse » (Jn 12, 15). Et Jean de commenter : « Cela, ses disciples ne le comprirent pas sur le moment ; mais, quand Jésus fut glorifié, ils se rappelèrent que l’Écriture disait cela de lui : c’était bien ce qu’on lui avait fait » (Jn 12, 16). Marc n’appuie pas son récit sur des citations prophétiques, mais il les intègre, les sous-entend, les interprète aussi, et le geste n’en est pas moins fort.
Cela dit, autant le geste apparaît spontané chez Jean, - « trouvant un ânon, Jésus s’assit dessus » (Jn 12, 14) – autant il est « prémédité » dans les évangiles synoptiques. Entrant en Seigneur à Jérusalem, Jésus se montre maître de la situation. Il envoie des disciples en avant de lui pour lui amener l’ânon et prévoit les détails de la scène. Accomplissant l’oracle du prophète Zacharie, Jésus pose un geste prophétique. S’il vient à Jérusalem en roi, il y vient aussi en prophète.
Entrant à Jérusalem, Jésus « entre librement dans sa Passion », comme le rappelle la prière eucharistique de saint Hyppolite (prière eucharistique 2 du rite romain). Marc accentue cette détermination du Seigneur en reprenant pour les préparatifs de la dernière Cène qui ouvre les événements de la Passion le même schéma que celui utilisé pour l’entrée à Jérusalem. Jésus envoie en avant de lui deux disciples leur disant ce qui va advenir. L’évangéliste établit ainsi un lien intime entre les deux événements et fait ressortir l’accomplissement de la mission du Sauveur.
Quoi qu’il en soit du geste posé par Jésus, ̶ qu’il soit spontané ou prémédité, ̶ la méprise de la foule qui l’acclame est la même, elle s’attend à une restauration dynastique (la royauté de David) et politique face au pouvoir de l’occupant romain. Cette méprise contribuera sans doute à précipiter les événements de la fin de la semaine. Il n’en va pas de même pour nous qui voyons tout à la lumière de la Résurrection.
Chaque année, la liturgie nous fait revivre l’Entrée de Jésus dans la perspective de la Pâque toute proche. Elle en est comme le coup d’envoi dans la perspective du triomphe définitif su Seigneur. Force est de reconnaître que ces deux dernières années, la célébration en est quelque peu bousculée du fait de la pandémie, du confinement et/ou de la participation limitée des fidèles. Voilà qui nous oblige à intérioriser davantage l’action liturgique de ce jour.
Jésus entre à Jérusalem, et la communauté des moines de Chevetogne y entrent avec lui au terme d’un carême dont les deux dernières semaines ont été bouleversées par la maladie de tous et la mort de l’un d’entre nous. Plusieurs fois, nous avons pu nous surprendre à dire au Seigneur : « Celui que tu aimes est malade » (Jn 11, 3). C’est de l’incompréhension que manifestent Marthe et Marie face à la mort de leur frère Lazare, mais aussi de leur rencontre avec le Seigneur qui les rejoint dans leur douleur, que jaillit leur belle confession de foi en la résurrection. Qu’il en soit de même pour nous, alors que nous nous sentons quelque peu déconcertés par l’incertitude qui plane sur le déroulement de cette Grande et Sainte Semaine qui ne sera Grande et Sainte que dans la mesure où nous la vivrons dans une profonde union au Christ mort et ressuscité. Comprenons bien que, pour entrer à Jérusalem, Béthanie reste toujours un passage obligé !