L’Évangile que nous venons d’entendre peut nous paraître quelque peu déconcertant. Sans doute aurions-nous préféré un récit qui nous parlât, plus explicitement tout au moins, de la Vierge Marie. De fait, la Marie dont il s’agit ici n’est pas la mère de Jésus, et quand une voix s’élève de la foule pour louer cette dernière, c’est Jésus lui-même qui semble détourner l’attention en élargissant le propos.
En fait, la liturgie rassemble ici, comme souvent lors des fêtes de la Vierge, deux passages distincts repris à l’Évangile selon saint Luc (Lc 10, 38-42 et 11, 27-28), qui l’un et l’autre dépeignent la physionomie spirituelle de la Vierge Marie. Comme cette Marie de Béthanie dont on vient d’entendre le récit, Marie de Nazareth est toute écoute. Et quand Jésus proclame bienheureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique, sa mère, Marie de Nazareth, se retrouve parmi eux, de façon évidente bien que voilée.
Peu nombreux sont les passages de l’Évangile qui nous parlent de Marie. La plupart se rapportent à l’enfance de Jésus et viennent confirmer ce que la liturgie veut mettre en évidence d’une façon qui nous échappe un peu. Silencieuse, Marie écoute ; attentive à la Parole de Dieu, elle la conserve en son cœur et la médite (Lc 2, 19.51). Et elle la met en pratique, tant et si bien qu’elle lui donne chair !
Voilà qui est dit : le Verbe s’est fait chair ! Et il s’est fait chair en Marie qui, à l’annonce de l’ange, s’est abandonnée à la volonté de Dieu, et a donné naissance au Fils du Très-Haut, conçu de l’Esprit Saint : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole ! » (Lc 1, 38). Marie se trouve au cœur du mystère de l’Incarnation comme le mystère de l’Incarnation se trouve au cœur de Marie. La Mère est aussi indissociable du Fils que le Fils est indissociable du Père. Admirable union de l’homme et de Dieu en Jésus qui vaut à Marie son titre le plus éminent, celui de Théotokos, Mère de Dieu, elle qui a enfanté le Fils unique de Dieu.
C’est peut-être ce qui a motivé le choix de la première lecture, la fameuse hymne christologique de la lettre de saint Paul aux Philippiens (Ph 2, 6-11) qui, elle aussi, peut nous paraître peu à sa place en cette fête de la Vierge Marie. C’est que là aussi, Marie n’apparaît qu’en filigrane, comme dans l’ombre du Christ, ou plutôt dans sa lumière, comme la lune reçoit sa lumière du soleil.
L’hymne de la lettre aux Philippiens reprend le mouvement descendant et ascendant du Christ obéissant, et obéissant jusqu’à la mort de la croix. Marie est, si l’on peut dire, partie prenante de ce double mouvement puisque c’est en elle que le Christ Jésus « de condition divine, ne retenant pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu » est devenu semblable aux hommes (Ph 2, 6-7). De ce fait, le sort de la Mère est étroitement associé à celui du Fils, et celle dont l’âme est transpercée d’un glaive (Lc 2, 35) se retrouve au pied de la Croix, Mère d’une humanité nouvelle (Jn 19, 25, 27).
À partir de là, Marie retombe dans le silence des textes. C’est la foi de l’Église des premiers siècles et l’amour du peuple chrétien pour celle en qui il ne manque jamais de se confier qui suppléent au silence des Écritures, en associant Marie à la gloire de son Fils parce que, comme le suggèrent les lectures de ce jour, à celle qui a compris qu’une seule chose est nécessaire, « la meilleure part » n’est pas enlevée (Lc 10, 38).