Categories

6e dim. Pent.: Rom 12,6-14; Mt 9,1-

L’épître d’aujourd’hui est un extrait du chapitre 12 de l’épître aux Romains. Si S. Paul nous y exhorte à vivre en chrétiens authentiques, ce n’est pas pour nous « faire la morale », mais parce que là le chemin du bonheur. Non pas, bien sûr, ce que les médias entendent par le mot de « bonheur », qui serait une existence dite « de rêve », où l’on n’aurait rien à faire et où l’on recevrait instantanément tout ce que l’on désire, car cette existence-là n’existe que dans les films. Et, si l’on en juge par les hauts et les bas qui émaillent la vie de ceux que l’on appelle « les stars », et qui promeuvent ce genre de bonheur, on peut d’ailleurs se demander si cela rend vraiment heureux (et en tout cas, si oui, pendant combien de temps !)

La vie réelle, telle que nous la vivons tous, demande en effet un véritable engagement de la part de chacun. Pour vivre, il faut travailler, et il n’est pas toujours agréable de se lever le matin pour se rendre au travail, de devoir supporter son chef ou ses collègues, de rester au boulot (ou à l’école, pour les enfants) jusqu’à la fin de la journée quand il fait beau et que l’on serait volontiers ailleurs. Mais notre travail n’est-il pas non plus ce qui nous confère une dignité, ce qui nous rend « utiles » dans notre monde ? C’est bien pourquoi nous devons tous faire de notre mieux pour exercer nos talents de notre mieux, et S. Paul sera certes le dernier à me contredire sur ce point : il est important de bien apprendre notre métier et, quand on l’a appris, de l’exercer avec zèle.

Pourtant, bien faire notre travail ne s’arrête pas à la compétence professionnelle. S. Paul nous rappelle que, si nous avons une âme, notre travail en a en quelque sorte une lui aussi. Il ne suffit pas d’être un bon artisan, un bon ouvrier, un bon agriculteur... mais nous qui avons entendu le message du Christ, nous sommes invités à y mettre ce qui change la vie, à savoir l’amour mutuel. Quelle que soit notre activité, faisons-la avec amour, avec le sourire. Comme le dit S. Paul (cf. v. 6-10): que celui qui distribue le fasse avec simplicité, sans se croire supérieur à celui qui reçoit ; que celui qui préside le fasse avec sollicitude, en prenant souci de ses subordonnés ; que notre charité soit sans déguisement, autrement dit soyons francs, et ne faisons pas semblant de respecter et aimer nos frères et soeurs, mais aimons-les en vérité. Cela vaut d’ailleurs encore plus à l’égard du Seigneur : « soyez fervents d'esprit, servez le Seigneur. Soyez joyeux dans l'espérance, patients dans l'affliction, persévérants dans la prière » (vv. 11-12).

Agir ainsi, c’est contribuer à changer la société non seulement par l’activité de nos mains, mais aussi par celle de notre coeur ; c’est rendre le monde plus humain, et donc lui permettre de refléter davantage cette image de Dieu selon laquelle nous avons été créés. Et c’est donc aussi nous mettre en accord avec nous-mêmes, faire coïncider notre « agir » avec notre « être », et marcher sur la voie d’une unification intérieure qui, elle, est le chemin du vrai bonheur, celui que vivent les saints. S. Paul le dit en d’autres mots : « transformez-vous par le renouvellement de votre esprit » (v. 2) : ne devenez pas ce que vous faites, mais que ce que vous faites exprime ce que vous êtes. Soyez vous-mêmes ! Si vous croyez au Christ, faites de votre mieux pour vous conformer à ce qu’Il a enseigné, à faire la volonté de Dieu !

En même temps, ces paroles de S. Paul nous ouvrent une autre perspective. Nous avons parlé d’activités professionnelles, de travail, de « faire ». Mais nous savons tous qu’il vient un temps où l’on n’a plus la possibilité d’être « actif », où la santé nous fait défaut, où les forces manquent pour faire quoi que ce soit, où nous dépendons d’autrui même pour des choses aussi simples queer, de man de se laver ou de s’habiller. Et nous voyons bien tous combien il peut être pénible d’avoir ainsi l’impression d’« être à charge » d’autrui. Pourtant, ce n’est pas le cas, si nous lisons attentivement S. Paul. Car il n’y a pas de limite d’âge ni de forces pour vivre une charité sans déguisement, pour aimer autrui d’une affection fraternelle, pour être joyeux dans l’espérance, patients dans l’affliction, persévérants dans la prière (v. 10-12). S. Paul va plus loin encore: « Bénissez ceux qui vous persécutent; bénissez, et ne maudissez pas. Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, pleurez avec ceux qui pleurent » (v. 14-15). Et le dernier verset de ce chapitre nous donne la clé de la vie chrétienne en tant qu’imitation du Christ, Lui qui, étant Dieu, s’est fait homme et a donné sa vie pour nous sauver (cf. Phil 2,5-12). En effet, S. Paul conclut ce chapitre 12 de l’épître aux Romains en disant : Ne te laisse point vaincre par le mal; mais vaincs le mal par le bien (12,21). Cela rejoint bien sûr cette parole de Jésus : « Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent » (Mt 5,44).

C’est là l’accomplissement de notre vie chrétienne, et nous savons aussi que c’est le résultat de toute une vie, car on n’y arrive pas en un jour. On n’y arrive pas non plus sans en demander la grâce au Seigneur, « Car c'est Dieu qui opère en vous et le vouloir et le faire » (Phil 2,13). Or, cela définit la dignité de l’être humain encore bien plus que le travail. Vivre avec le Christ, essayer de réaliser en nous Son image, et l’exprimer par notre comportement, cela change toutes nos relations humaines, que nous soyons « donneurs » (si j’ose dire) comme lorsqu’on travaille, ou que nous apparaissions comme « receveurs » parce que nous bénéficions des soins d’autrui ; il ne s’agit plus alors d’une simple activité humaine, mais nos relations deviennent un véritable échange dans le Christ. Nous ne donnons plus du travail, mais nous donnons de l’amour mutuel ; nous ne mettons plus à contribution une force physique que nous n’avons plus, mais nous faisons la paix autour de nous par notre affection fraternelle, par notre sourire, par notre désir de rendre tout le monde heureux. Et nous contribuons ainsi puissamment à transformer le monde, parce que nous avons pu d’abord transformer notre propre esprit en le laissant éclairer par la Parole de Dieu à laquelle nous essayons de nous conformer.

Et pour terminer je voudrais faire une simple allusion à l’évangile de ce jour, celui du paralytique de Capharnaüm. Ceux qui portaient le paralytique ont osé défaire une partie du toit pour le présenter à Jésus, vu qu’il y avait une telle foule qu’il ne leur était pas possible de passer, comme nous l’apprend le passage parallèle (Mc 2,4). Ils avaient donc une foi remarquable. Mais l’homme paralysé devait, lui aussi, avoir une fameuse foi pour les laisser faire : croyez-moi, il n’y a vraiment rien d’agréable à se laisser descendre comme un paquet au milieu d’une foule, avec tous les risques que cela comporte pour une personne paralysée, entre autres d’être piétiné par la foule ! Et je croirais volontiers que c’est même lui qui a eu l’idée de demander qu’on le passe par là, afin de pouvoir se présenter devant Jésus, car il avait vraiment foi que ce Jésus pouvait faire quelque chose pour lui. Ce paralytique n’a rien « fait », et pourtant sa foi a été pour tous l’occasion d’une leçon non seulement pour ceux qui étaient présents, mais pour toute l’humanité, nous y compris : non seulement que « le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés », mais aussi que la foi au Christ obtient le pardon des péchés (cf. Phil 3,9 ; Gal 3,22). Oserais-je dire, en imitant S. Augustin : « heureuse paralysie, qui a été l’occasion d’une foi telle qu’elle a obtenu le pardon des péchés » ?