La liturgie nous fait lire ce matin presque un chapitre entier de saint Jean. Autour d'un événement - la guérison de l'aveugle -, saint Jean présente les réactions de la foule et des pharisiens. À la fin, l'aveugle voit et les maîtres sont aveugles! Jésus tire alors toutes les conséquences de cette “contradiction”, de ce renversement. Les autres Évangiles nous présentent d'autres guérisons d'aveugle: ce sont, pour eux, des signes que les temps messianiques sont arrivés. Chez saint Jean, c'est la symbolique de l'illumination qui est davantage soulignée. En effet, Jésus qui se déclare la lumière du monde (Jn 9, 5) est celui qui illumine l'aveugle-né: comme le proclamait le prologue de l'Évangile, Jésus “est la lumière qui illumine en venant dans le monde”. Le baptême chrétien est cette merveilleuse illumination opérée de l'homme par Jésus et la foi est un “supplément de lumière” pour les hommes, un chemin pour découvrir la profondeur du monde et la beauté du mystère de Dieu. Laissons Nous suivre pas à pas saint Jean. Le dialogue entre Jésus et les disciples, au commencement du récit, explicite la dimension d'illumination du miracle. Les apôtres, pour justifier le fait douloureux de l'aveuglement de naissance, expriment des croyances populaires; ils évoquent la culpabilité des parents ou de l'homme lui-même quand il était encore dans le sein de sa mère. La réponse de Jésus écarte l'explication des disciples mais n'aborde pas pour autant la question de la souffrance innocente! Sa réponse “pour qu'en lui soient manifestées les œuvres de Dieu” n'est pas non plus une explication de cause (comme si Dieu l'avait rendu aveugle pour pouvoir le guérir) mais une explication de circonstances: cet homme est aveugle, je vais le guérir et la gloire de Dieu sera ainsi manifestée. Jésus, le Verbe incarné, vient donc manifester la gloire de Dieu en accomplissant cette illumination de l'aveugle. Le geste de Jésus est plein de signification: avec sa salive, il fait de la boue et envoie l'aveugle à Siloé. Jésus suit la manière de faire des anciens prophètes par un geste choquant, inattendu, qui interroge la foule et les disciples. Ce geste a plusieurs sens: il provoque une rupture avec le sabbat, Jésus montre qu'il travaille comme le Père quand il créait l'homme avec du limon. L'envoi à Siloé rappelle l'envoi de Naaman le Syrien dans le Jourdain chez le prophète Eli(2 R 5). Quant au sens du mot Siloé, “envoyé”, il fait allusion à Jésus lui-même, l'envoyé du Père qui délivre les hommes. Comme souvent chez saint Jean, la guérison est constatée par les autres afin que ce soit un témoignage. Un débat surgit alors parmi le peuple, Du coup, le miracle constaté, se pose la question du “comment” qui va occuper tout le reste du récit. Nous allons d'abord entendre le témoignage de l'aveugle guéri: “il m'a ouvert les yeux”. L'expression va revenir sept fois dans le texte. Le verbe “voir” en grec est très riche: il signifie à la fois “lever les yeux” et “recouvrer la vue”. L'aveugle “voit” en levant les yeux vers le Christ qu'il ne verra vraiment qu'à la fin du récit, dans une foi parfaite (Jn 9, 35)quand il dit :je crois Seigneur.. Pour l'instant, il ne connaît Jésus encore que de nom, selon la curieuse formule qu'il emploie: “l'homme qu'on appelle Jésus” ; lui ne l'appelle pas encore Jésus (c'est-à-dire “sauveur”)! Puis commence la confrontation avec les pharisiens. L'enquête est d'abord honnête: ils s'informent. Leur motif est bon aussi: le livre du Deutéronome leur donne raison en stipulant qu'on doit condamner un faiseur de prodiges qui incite à mépriser la loi du sabbat. Au commencement du débat, ils se montrent corrects, puis bien vite divisés, de moins en moins sûrs de leur vérité face à l'aveugle dont la guérison est patente; puis, à la fin, ils usent de la force, l'argument des faibles : ils le jetèrent de hors. C'est l'itinéraire inverse de l'aveugle! et le verbe “savoir” revient comme un refrain ironique: “nous savons que”. L'aveugle lui, a une bonne théologie: Jésus est un homme de Dieu, un “prophète” qui accomplit loyalement sa mission; le fait du miracle atteste qu'il n'enfreint pas la loi de Dieu, sinon Dieu ne l'exaucerait pas! Et son ironie éclate quand il dit que l'étonnant pour lui est que les autorités ne sachent pas “d'où vient Jésus”! L'exclusion dont est alors victime l'aveugle guéri annonce les exclusions futures, celles que commence déjà à connaître la communauté chrétienne quand saint Jean écrit son Évangile. L'aveugle est le premier chrétien exclu de la communauté juive! Jésus connaissant le sort de l'aveugle, vint le trouver - et le dialogue s'instaure car l'homme guéri n'est pas encore à la plénitude de la foi même s'il a déjà subi l'exclusion, ses yeux du cœurs sont pas encore tout à fait pleinement ouvert.. Jésus lui pose la question de la foi avec une expression très proche de celle employée par Jésus dans les Évangiles synoptiques: “Crois-tu au Fils de l'Homme?” “Tu le vois, c'est lui qui te parle.” Deux verbes clés dans la bouche de Jésus: voir et écouter. Ce sont comme les deux aspects de l'unique révélation: écouter, c'est tout l'Ancien Testament: l'aveugle a écouté quand Jésus lui a donné l'ordre pour le miracle, il a obéi et cette première alliance a produit tout son effet chez l'aveugle qui a reconnu Jésus comme un prophète, qui a tenu tête aux pharisiens avec bon sens et piété. Voir, c'est la nouvelle alliance: “Dieu personne ne l'a jamais vu, dit Jean dans le Prologue de son Évangile, mais le Fils qui est dans le sein du Père l'a fait connaître. Qui m'a vu, a vu le Père.” Et l'aveugle se prosterne, devant Jésus, le Seigneur! La foi est progressive pour l'aveugle: il obéit; après le bain dans l'eau de Siloé, il voit clair puis il témoigne du fait; ensuite, il témoigne de Jésus: c'est un prophète, recourant à ses catégories à lui, incomplètes mais exactes; puis il déclare “je crois” et se prosterne. Jésus reprenant la parole, conclut: “Je suis venu en ce monde pour une remise en question, afin que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles” il élargit la portée du miracle pour en faire le sens profond de toute sa mission: il ne condamne pas les pharisiens; il les avertit afin qu'ils découvrent tout l'enjeu de la reconnaissance ou de la non-reconnaissance de Jésus, le Fils de l’homme. Par leur crispation sur leur savoir, les pharisiens s'empêchent de voir et empêchent Dieu d'agir pour eux en vue de leur salut.
Que le Seigneur ,soleil de justice, illumine aussi les yeux de nos cœurs et fais de nous des fils de lumière afin que dans la foi nous puissions te crier : Grande et ineffable est ta miséricorde envers nous, Seigneur, ami des hommes, gloire à toi.
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