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Dimanche de l’Aveugle-né 2020

Dimanche de l’Aveugle-né 2020

(Jean 9,1-38)

Le propos de ce récit de guérison dans l’évangile d’aujourd’hui est bel et bien le passage de l’aveuglement du péché à la lumière de la grâce. Il y a une bonne raison que cette guérison qu’opérait Jésus, comme la plupart des guérisons, est advenue un jour de Sabbat. Le Christ, en restaurant la vision de l’aveugle-né, veut rappeler à son entourage la plénitude du sens de ce jour de repos, qui est le jour d’une nouvelle création, d’une nouvelle naissance. En effet, ici le Sabbat fait référence au 7ème  jour de la Genèse, en lequel Dieu se retire de son œuvre créée, pour que l’Homme puisse, en toute liberté, reconduire la totalité de la création et la totalité de son existence à son Dieu. Par conséquent, la guérison de l’aveugle-né ne transgresse pas mais fonde et authentifie la loi même du Sabbat. C’est pourquoi le jour de Sabbat, chaque semaine, l’homme est appelé à se souvenir de ce retournement possible vers son Seigneur, vers ce qui le relie à sa véritable origine.

L’homme, qui n’entre pas dans l’essence de cette mémoire, reste dans l’esclavage du Sabbat en sa qualité d’obéissance à une autorité purement extérieure et ainsi, détourné de son sens. C’est précisément pour cette raison, que les pharisiens dirent à l’aveugle: «Tu es né tout entier dans les péchés, et tu nous fais la leçon?» (Jn 9, 34). Soucieux du respect de leurs disciplines et de leurs observances, les pharisiens ici ne voient que le péché, en incriminant Jésus d’avoir transgressé le Sabbat. Ainsi, ils s’imaginent que faire le bien consiste à agir dans les limites des règles prescrites, comme si ces mêmes règles définissaient la nature du bien.

On constate dès le début de ce récit que nous sommes confrontés, comme l’aveugle-né, avec le dilemme entre deux logiques trop souvent opposées pourtant non irréconciliables: celle de la grâce et celle de la loi. Certes, ici les détenteurs de la loi sont les pharisiens – scrupuleux observateurs de la Loi écrite, des traditions orales et des préceptes et interdictions, pensant qu’ils pouvaient assurer ainsi le salut. Mais la Loi n’était-elle pas voulue, justement, pour guider l’humanité aveuglée et exilée suite à sa chute, là où les hommes ne savent plus nommer les énergies dont ils sont tissés eux-mêmes, là où ils ne savent plus distinguer leur droite de leur gauche (Jonas 4,11), où leur fils ne connaissent aujourd'hui plus ni le bien ni le mal (Dt 1,39)? La loi donnée par Moïse, ainsi que toutes les lois civiques et sociales, n’étaient-elles pas là, justement, pour protéger l’homme déchu de cette anarchie spirituelle en attendant la venue en plénitude, de grâce en grâce, la personne de Jésus-Christ (Jn 1,16-17) qui redonne le sens de toute chose.

Ce n’est pas un hasard si la cause de la souffrance est le premier sujet traité dans ce long passage. A cette époque, on pensait qu’il y avait un lien intrinsèque entre le péché et la maladie ou une infirmité. Pour être aveugle, cet homme avait dû certainement avoir péché, ou bien ses parents; c’est ainsi que pensent aussi les disciples, car ils demandent : «…mais qui a péché ?». Et le Christ ne conduit pas ses apôtres vers une réponse possible à ce questionnement, encore moins vers un jugement, ou vers une condamnation, mais vers l’urgence de la finalité en disant que: «…c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui». Autrement dit, afin que l’aveugle aux choses du monde, découvre et voie les choses merveilleuses de Dieu et en témoigne.

Ici Jésus veut éveiller ses disciples à un ordre de réalité qui n’appartient pas seulement au monde de la cause et de l’effet, à une lecture mécanique ou karmique de nos vies. Au contraire, ce qui est important ici n’est pas tant la cause d’une situation, si désespérée soit-elle, mais la manière dont nous la vivons. Jésus invite ici ses disciples, qui sont fascinés par la loi de causalité et par la question de l’origine du mal, à un changement de regard: Il nous conseille de nous tourner plutôt vers le but, vers la finalité des choses, c’est-à-dire de “faire les œuvres de Dieu” pour ne plus subir nos vies comme un destin implacable.

Mais, que signifie “faire les œuvres de Dieu”? N’est-ce pas en premier lieu, guérir l’homme blessé, aveuglé et exilé de sa propre source divine? Notons que “aveugle” en hébreu, partage la même racine que le terme “tunique de peau”, dont Dieu recouvre l’Adam suite à sa chute et à son exile du paradis. Privé désormais de la mémoire du Nom de Dieu, l’homme est pour ainsi dire, comme retourné à l’extérieur de lui-même; il perd ainsi de vue le projet essentiel de Dieu, non seulement sur lui-même, mais sur la création entière.

Précisément, Jésus va refaire cet œuvre de la création. Il refait donc les gestes rapportés dans le livre de la Genèse au moment de la création de l’homme Adam, celui qui est tiré de la terre, façonné par Dieu avec de la boue. Et pour cela, Il mélange sa salive avec de la terre. Ainsi fait le Christ, crachant par terre et faisant de la boue, pour redonner à l’aveugle la lumière.

Ensuite, le Christ, après avoir «…enduisit les yeux de l’aveugle de cette boue, Il lui dit : Va te laver à la piscine de Siloé…» - ce qui signifie que l’aveugle est envoyé: «…Il y alla donc, se lava et il revint voyant clair» (Jn 9, 6-7).

En cette œuvre de création, le Christ demande à l’aveugle l’acte de foi et de liberté qui le conduit par conséquence à aller se laver les yeux à la piscine de Siloé. Pas étonnant que l’apôtre Jean, qui maintes fois rapporte les paroles de Jésus qui se disait lui-même être l’«Envoyé du Père», nous précise que le nom Siloé signifie l’« Envoyé ». Purifié par les eaux douces de Siloé, l’aveugle acquiert une connaissance et une vision nouvelles, car désormais, il voit et reconnaît le Christ comme l’unique et vraie Source de la lumière primordiale dont il va désormais témoigner. Autrement dit, il découvre que l’Envoyé, c’est le Christ, celui qui est venu pour témoigner en vérité de la gloire de son Père, et ceci par le don de sa vie. Ainsi l’aveugle devient pleinement collaborateur actif de son propre salut, non seulement en reconnaissant publiquement sa guérison, mais en confessant ouvertement et avec courage que, Celui qui l’a guérit, est bien le Christ-Jésus. Et, admirablement devant son Sauveur, il exclamera «je crois Seigneur!» (Jn 9, 38). Par ce don de la foi, l’œuvre du salut de l’aveugle-né est en fait une authentique illumination, afin que les yeux de sa conscience puissent s’ouvrir avec gratitude à la vraie lumière de la Vie. Car Jésus avait déclaré antérieurement que: «celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière et la vie» (Jn 8, 12).

Dès lors, cette guérison prend une dimension plus saillante et révélatrice, à savoir celle de notre baptême dans la personne du Christ. Par son incarnation, sa mort et sa résurrection le Christ redonne à l’Homme la puissance amoureuse de son destin divin et de son patrimoine céleste, non pas pour être esclave de la loi, mais pour devenir vrai fils et héritier de par Dieu (Gal 4, 7). Nous, qui sommes baptisés, revêtus de l'homme nouveau par moyen de la foi et de l’espérance, délivrons nos cœurs des ténèbres du jugement, et purifions nos regards de division et de condamnation, que nous portons souvent sur les autres et sur nous-mêmes.  L’évangile nous invite ici, en faisant rappel à notre baptême, de devenir les «Fils de lumière» afin de manifester dans nos vies ce regard rayonnant de la miséricorde divine, qui n’est que le regard des origines que Dieu pose sur les hommes dès la Création. Autrement dit, Dieu nous invite de regarder nous-mêmes, les autres et la création entière comme Lui le fait.

Mes frères et sœurs, ceci n’est pas une belle spéculation théologique, mais avant tout, il s’agît d’une praxis: une attitude de vie qui s’exercice de jour en jour. Il devient alors de plus en plus évident que, pour voir la lumière, il faut auparavant descendre dans les profondeurs de soi-même, redevenir cette argile donc Dieu a façonné le premier homme, et épouser cette terre-vierge dont naîtra «l’enfant divin». Si, au contraire, nous restons enfermés à l'extérieur de tout cela, comme à l’image des pharisiens qui se justifient par la loi, nous restons des étrangers à nous-mêmes et aux autres ; la relation au monde extérieur continue alors à se jouer dans des rapports de forces, de pouvoir, de rivalité, de condamnation et de division.

C’est ainsi que la promesse du Sabbat se réalise pleinement aujourd’hui même, le jour de la Résurrection, qui est à la fois premier jour - celui de la Création où tout s’origine, et huitième jour - celui de l’éternité dans le temps par la présence du Ressuscité qui vit désormais au cœur de chaque être.