J’aime beaucoup les passages d’évangile où l’apôtre Pierre intervient. Pas seulement parce qu’il est mon saint patron mais encore parce que je me sens tellement rejoint par lui.
On le voit ici généreux et un peu fougueux comme au moment de l’arrestation de Jésus où il dégaine son épée, là fanfaron et en même temps un peu écrasant pour les autres, ainsi lorsqu’il laisse entendre: «Quand bien même les autres t’abandonneraient, Seigneur, moi je ne t’abandonnerai pas». On le découvre pris par la peur, cherchant d’autres assurances que le Seigneur et s’enfonçant dans la mer. On le perçoit tantôt enthousiaste comme à la Transfiguration: «Rabbi, il est bon que nous soyons ici; dressons trois tentes», tantôt désillusionné après une nuit de pêche infructueuse. Choisi pour affermir ses frères: «Tu seras appelé Céphas, ce qui veut dire roc», Pierre est aussi celui qui par trois fois a dit: «Jésus, connais pas».
Le passage d’évangile qui vient d’être proclamé en témoigne: si grande soit la faute de son apôtre, Jésus confirme le pasteur de ses brebis dans sa mission pastorale. Si le pasteur pèche trois fois, eh bien le Seigneur lui dit trois fois: «Pais mes brebis».
Le passage d’évangile où Jésus confirme Pierre dans sa tâche pastorale, rapporte encore ces mots de Jésus: «Quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c’est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voudras pas». L’évangéliste commente: «Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu».
Permettez-moi de proposer une autre lecture de ces paroles de Jésus à Pierre, de voir en elles une métamorphose, une conversion fondamentale à laquelle le Seigneur invite son apôtre.
Facilement nous voulons faire des choses, aligner des réalisations généreuses. Il faut surtout que nous apprenions à nous laisser faire, à passer des œuvres pour Dieu aux œuvres de Dieu.
Facilement dans la prière, nous demandons au Seigneur de soutenir notre action généreuse, de faire en sorte que l’accompagnement que nous prodiguons aux frères réussisse, ou encore que telle homélie que nous prononçons touche les cœurs.
Mais alors Dieu sourit et nous dit avec douceur: «Ami, qui est-ce qui sauve le monde, est-ce toi ou moi? Alors, s’il te plaît, apprends à ne plus considérer ma grâce comme un simple moteur auxiliaire, et reçois de moi ce qui convient aux brebis que je te confie. Alors ce ne sont pas tes richesses que tu donneras mais mes trésors, et au lieu de faire du bien tu feras des miracles».
Cher Père Abbé, je vous souhaite pas moins que de faire des miracles par Lui, avec Lui et en Lui.
Vous avez souhaité recevoir la bénédiction abbatiale en la fête de saint Martin, évêque de Tours qui fut un acteur majeur de l’évangélisation des Gaules, mais auparavant moine fondateur du Monastère de Ligugé, et antérieurement encore un soldat à la charité légendaire. Vous vous reconnaissez dans les paroles de la première lecture que Jésus a proclamées, au début de son ministère, en la Synagogue de Nazareth: «L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres». Faites de cette Abbaye un lieu de miséricorde.
Les chiffres sont là: si on devait assurer à tous une consommation semblable à celle de la Belgique, il faudrait 4,3 planètes! Même chez nous, la pauvreté se porte comme un charme. La donnée est effrayante: en Wallonie un enfant sur 4 vit sous le seuil de la pauvreté. Il ne faudrait pas non plus que l’Europe devienne une forteresse de confort face aux migrants qui campent à ses portes.
Permettez-moi de citer ces mots des «Misérables» de Victor Hugo: «Peut-on toucher sans cesse, et nuit et jour, à toutes les détresses, à toutes les infortunes, à toutes les indigences, sans avoir soi-même sur soi un peu de cette sainte misère, comme la poussière du travail? (…) Se figure-t-on un ouvrier qui travaille sans cesse à une fournaise, et qui n’a ni un cheveu brûlé, ni un ongle noirci, ni une goutte de sueur, ni un grain de cendre au visage? La première preuve de la charité chez le prêtre, chez l’évêque surtout, c’est la pauvreté» (La Pléiade, p.51).
Depuis sa fondation, le Monastère de Chevetogne est particulièrement dédié à l’unité des chrétiens. Et tout naturellement, cher Père Abbé, vous vous êtes donné comme priorité la fidélité à l’engagement œcuménique, en favorisant aussi le dialogue interreligieux et interconvictionnel.
Peu avant sa mort, Jésus a eu ces mots: «Que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie». S’il s’était adressé directement aux disciples, Jésus leur aurait dit: «Comment voulez-vous être crédibles, comment voulez-vous être croyables si vous demeurez dans la division? Paroles importantes parce que paroles de la fin, dernières volontés, testament de Jésus.
L’unité à laquelle le Seigneur Jésus nous invite est l’unité du Père et du Fils. Le Père et le Fils ne font qu’un. Mais le Père n’est pas le Fils et le Fils n’est pas le Père. L’union à laquelle le Seigneur nous convie est la communion dans la différence. Il nous faut toujours à nouveau apprendre à accepter l’autre comme autre, avec sa façon propre de voir, avec sa façon propre de faire. Pas seulement le tolérer différent. Mais l’aimer différent. Du reste, aimer l’autre tant qu’il est semblable à soi, n’est-ce pas encore seulement s’aimer soi-même?
Jésus a prié pour l’unité. Faisons des pas dans le sens de l’unité. Mais surtout implorons la venue de l’Esprit qui fait l’unité. Je vous raconte encore (ou vous rappelle) la légende des canards qui a pour auteur un pasteur luthérien.
Un jour, entre les canards d’une ferme éclata une grave dispute, une dispute si grave que chacun alla de son côté s’installer dans sa petite mare. Certes les canards étaient un peu tristes d’être séparés. Mais sortir de sa petite mare pour aller rejoindre l’autre, il n’en était pas question.
Quelque temps plus tard, la pluie tomba abondamment, si abondamment que bientôt les petites mares ne firent plus qu’un seul grand lac où les canards de nouveau réunis barbotèrent joyeusement, dans le bonheur des retrouvailles.
Ainsi le jour où chaque communauté séparée aura suffisamment imploré la venue de l’Esprit, comme la pluie bienfaisante d’En-Haut, les eaux monteront dans chaque Eglise et l’unité sera enfin restaurée.