« Jésus gravit la montagne … » La montagne … l’endroit n’est pas anodin puisqu’il donnera son nom à ce premier enseignement de Jésus que l’on appelle le « sermon sur la montagne ». La montagne est par excellence le lieu de la Révélation. C’est sur le Mont Sinaï, la montagne de Dieu, que Moïse reçut les tables de la Loi pour les donner au peuple élu. C’est sur une humble colline en bordure de la mer de Galilée que Jésus énonce pour ses disciples qui l’y ont rejoint la Loi nouvelle du Royaume de Dieu destinée à la foule, et au-delà à toutes les nations. Comment dès lors ne pas se réjouir avec le prophète Isaïe en s’exclamant : « Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire à Sion : “Ton Dieu règne!” » (Is 52, 7)
Et ce messager, cet envoyé de Dieu, est lui-même la paix, le salut, la bonne nouvelle qu’il annonce … Il est la Parole de Dieu faite chair … et lorsqu’il dit « Ton Dieu règne ! », c’est que le Royaume est arrivé jusqu’à ceux à qui il s’adresse, qu’il est au milieu d’eux, qu’il est en eux … Et qu’il leur faut le découvrir au son de sa voix ! Qu’il leur faut le faire advenir en l’écoutant, autrement dit qu’il leur faut le mettre au monde ce Royaume qui n’est pas du monde.
C’est pourquoi, ses disciples, ceux qu’il a d’abord appelés et qui se sont mis à sa suite, font l’effort de gravir la montagne pour venir l’écouter. Et Jésus se met à les enseigner, à leur énoncer la Loi nouvelle du Royaume. De ce premier enseignement, de ce sermon sur la montagne, les Béatitudes sont l’exorde, la mise en route de recommandations qui balisent le chemin. Et c’est bien de mise en route qu’il s’agit quand on sait que l’hébreux ashréi ne signifie pas seulement « heureux, bienheureux », mais encore, selon la belle traduction d’André Chouraqui, « en marche ». Les disciples sont invités à se mettre en marche parce que le Royaume est en marche et que rien désormais ne peut l’arrêter. La vie est dans le mouvement, dans le changement aussi, un changement qui est conversion, un retournement de soi vers Dieu, qu’il s’agisse de prendre une nouvelle direction ou d’avoir un nouveau regard.
En marche, ces disciples qui se sont mis à la suite de Jésus, en marche ces disciples qu’il enverra un jour annoncer la bonne nouvelle du Royaume, leur recommandant de n’emporter « ni bourse, ni besace, ni sandales » (Lc 10, 4), en marche ces disciples qui reconnaîtront un jour, par la bouche de Pierre, qu’ils ont tout quitté pour le suivre et qui se voient promettre « bien davantage en ce temps-ci, et dans le monde à venir la vie éternelle » (Lc 18,30). « Heureux les pauvres, car le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5, 3). Et finalement en marche ces foules qui, défiant l’espace et le temps, rejoignent Jésus sur l’autre rive du lac et pour lesquels Jésus multiplie le pain, chargeant ses disciples de leur donner eux-mêmes à manger, signe d’une communion plus grande. « Heureux les affamés et assoiffés … » (Mt 5, 6). Et le Royaume advient, le Royaume s’étend, émergeant du cœur de chacun …
La moisson est abondante … La moisson, nous en contemplons aujourd’hui la partie récoltée, foule immense qui, elle aussi, a traversé l’espace et le temps, pour se retrouver comblée, bienheureuse, dans le sein de Dieu. La moisson est abondante … la moisson, nous en sommes aujourd’hui la partie en pleine croissance, foule immense elle aussi, quoi qu’on puisse en penser à la vue de certaines de nos assemblées si largement désertées, foule immense en devenir, toujours en marche et heureuse, heureuse parce qu’elle est en marche … au travers des tribulations de ce temps et des pauvretés de toutes sortes. Oui, heureux les pauvres, les affamés et assoiffés, les affligés, les persécutés, les doux, les artisans de paix, les miséricordieux … Il nous faut aussi rejoindre et gravir la montagne, passer sur l’autre rive, pour nous entendre dire : « Ton Dieu règne ! ». Le Royaume est aussi arrivé jusqu’à nous, il est au milieu de nous, il est en nous, … il nous faut le faire advenir, le faire émerger de notre cœur, le mettre au monde, en participant à cette Histoire sainte que nous sommes invités non seulement à lire, mais encore à écrire …