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Saint Benoît 2019

« Être le Christ pour faire ce que fait le Christ ». Ce n’est pas du saint Benoît, ça pourrait l’être, mais ça ne l’est pas. C’est du Charles de Foucauld. Mais après tout, Charles de Foucauld n’a-t-il pas lui aussi vécu à la suite du Christ, sous la règle de S. Benoît, et comme celle-ci le prescrit, per ducatum Evangelii, « sous la conduite de l’Évangile », et après avoir été aguerri dans la vie communautaire, n’a-t-il pas rejoint ce que Benoît considère comme l’étape suprême : la vie érémitique ? Ces paroles de Charles de Foucauld ont donc bien leur place le jour de la fête de saint Benoît.

« Être le Christ pour faire ce que fait le Christ ». Y a-t-il plus belle façon de vivre le commandement nouveau de l’amour que le Christ a laissé à ses disciples lors du dernier repas qu’il prit avec eux : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres » (Jn 13, 34) ? Reste à le décliner au rythme des béatitudes.

« Être le Christ … ». Le Christ, nous le sommes déjà par le baptême qui nous constitue membres de son Corps. À nous de développer de façon cohérente cette identité chrétienne, qui n’est pas repli identitaire, en s’attachant, selon l’expression de saint Paul dans sa lettre aux Colossiens (2, 19), « à la Tête, dont le Corps tout entier reçoit nourriture et cohésion, par les jointures et ligaments, pour réaliser sa croissance en Dieu ». Dans sa lettre aux Éphésiens, il précise que cela se fait « en vivant selon la vérité et dans la charité » (Ep 4, 15). Belle image de la croissance tant communautaire que personnelle. Une croissance que l’on voudrait harmonieuse, mais qui connaît des soubresauts et des crises. La vie chrétienne n’est pas un long fleuve tranquille, et la vie monastique, qui n’est qu’une voie parmi d’autres pour suivre le Christ, ne l’est pas davantage. L’une et l’autre sont une plongée dans le mystère pascal, tout à la fois douloureuse et joyeuse.

Cela vaut pour les institutions comme pour les personnes. Les unes comme les autres sont également confrontées aux crises de croissance, voire à l’échec. Saint Benoît a connu plus d’un échec, la vie de Charles de Foucault comme celle de Jésus s’achève sur ce qui humainement parlant apparaît comme un échec. Les monastères fondés par saint Benoît ont aussi connu la destruction. Plus que millénaire, le Mont Cassin a été en ruines pendant presque deux siècles peu après la mort de son fondateur. D’autres, au cours de l’histoire, après avoir porté beaucoup de fruits, ont disparu et n’ont jamais revu le jour. Les institutions comme les hommes sont soumises au changement. La vie est à ce prix si douloureux soit-il. Et de surcroît, hommes et institutions ne sont pas destinés à demeurer éternellement, mais sont promis à la vie éternelle que Dieu seul donne.

Nous ne sommes plus à une époque de changements, mais à un changement d’époque : les défis sont nombreux, la situation difficile, pour beaucoup déstabilisante. Mais l’était-elle moins dans cette Judée-Galilée du temps de Jésus, dans cette Rome multiculturelle des débuts du christianisme, dans cette Italie du VIe siècle en proie aux guerres et aux déplacements de populations, ou dans l’après première guerre mondiale, quand dom Lambert Beauduin se lançait sans frilosité, sur les débris d’un monde écroulé, dans l’aventure œcuménique ? Et je passe sur les mutations de société et de civilisation auxquelles les moines, comme les chrétiens dans leur ensemble, ont été confrontés. Malgré l’apparente fragilité de la règle bénédictine, mais grâce à sa grande adaptabilité, les disciples de saint Benoît ont su passer bien des caps périlleux et contribué à l’élaboration d’une civilisation chrétienne qui est elle-même aujourd’hui remise en question. « Le christianisme va-t-il mourir ? » se demandait déjà il y a une quarantaine d’années un historien célèbre. La question est toujours plus aiguë. Il est urgent d’y répondre non seulement en paroles mais en actes. L’attitude des moines, pour autant qu’ils le veuillent et qu’ils le sachent, peut encore avoir valeur de témoignage.

Le message des béatitudes est bouleversant. Laissons-nous toucher et retourner. Osons la conversion de nos vies au point de vue personnel comme au point de vue communautaire. Commençons aujourd’hui, ‒ saint Benoît a écrit sa règle pour des débutants, ‒ commençons aujourd’hui, et soyons le Christ pour faire ce que fait le Christ !