Le matin de Pâques, on court beaucoup … Que de va-et-vient ! Il y a tout d’abord Marie de Magdala, puis l’apôtre Pierre et l’autre disciple, « celui que Jésus aimait », que l’on identifie traditionnellement à l’apôtre et évangéliste Jean. Et une nouvelle fois Marie de Magdala sans doute revenue au tombeau à la suite des apôtres. Persistance de l’amour ! À la différence de ce que rapportent les synoptiques, tout au moins Marc et Luc, Marie ne se rend pas au tombeau pour y porter des aromates et compléter l’embaumement, mais seulement pour y pleurer comme une autre Marie, la sœur de Lazare, courait au tombeau de son frère (cfr Jn 11, 31). Elle ne s’inquiète donc pas de savoir qui lui roulera la pierre et est d’autant plus étonnée de la voir enlevée, et de constater que le corps de Jésus a disparu. Elle s’empresse donc d’aller trouver Pierre et Jean pour leur annoncer ce qui n’est pas encore une bonne nouvelle, « la bonne nouvelle » : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé ». Le « nous » qu’elle emploie peut d’ailleurs laisser penser qu’elle n’était pas seule, que d’autres femmes l’accompagnaient.
De nouveau, à la différence des synoptiques, la scène est brève. Il est vrai que Jean y reviendra plus tard, décrivant l’apparition du Ressuscité à Marie avec force détails et faisant d’elle « l’apôtre des apôtres », appellation traditionnelle que le pape François a mise à l’honneur. Par contre, l’évangéliste s’attarde à décrire la course des deux apôtres au tombeau, est-ce parce qu’il en est lui-même l’un des protagonistes ? Il est intéressant de constater que la première réaction des apôtres n’est pas de dire : « Eh bien oui, Il est ressuscité ! », mais de chercher à comprendre et de courir s’assurer que les choses sont bien comme Marie l’a raconté. Et dire que grands prêtres et anciens du peuple craignaient que les disciples ne viennent dérober le corps de Jésus et ne disent qu’il est ressuscité. Comme on le voit, cela ne leur effleure même pas l’esprit. La foi en la résurrection n’est pas gagnée d’avance. Elle sera l’objet de tout un cheminement de la part des disciples, et sans doute de nous aussi.
Pierre et Jean courent donc au tombeau. Jean plus rapide y arrive le premier, se penche et constate que les linges sont posés là, mais il n’entre pas. Puis arrive Pierre qui entre, voit lui aussi les linges posés à plats, ainsi que le linge qui a recouvert la tête de Jésus posé à part. Découverte progressive de la réalité du tombeau vide qui suggère qu’un ordre y règne, et que le corps de Jésus n’a été ni dérobé, ni déplacé. Délié de ses bandelettes, le Christ est libéré des liens de la mort. Enfin, Jean entre, « il vit et il crut ». Et l’évangéliste précise aussitôt : « Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts ». Si le tombeau vide n’est pas et ne peut être une preuve de la résurrection, il est cependant bien un signe qui en est révélateur en renvoyant à l’Écriture et à ce que Jésus en a dit lui-même. Si l’Écriture rend compte de la résurrection, la résurrection vient éclairer l’Écriture et elle en devient la clé d’interprétation. La résurrection met en lumière tout ce qui précède : les paroles et les actes de Jésus désormais reconnu Seigneur victorieux de la mort. Jésus a plusieurs fois annoncé sa mort et sa résurrection sans que les disciples l’aient compris, il lui faudra d’ailleurs y revenir après sa résurrection sur le chemin d’Emmaüs et au cénacle, le soir de ce même jour. Luc y insiste particulièrement. Dans son évangile, Jean remarque çà et là que les disciples ne comprirent les paroles de Jésus qu’après sa résurrection, notamment lorsque Jésus parle du Temple de son corps : « Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite » (Jn 2, 22). L’épisode se situe lors de la fête de Pâques, au lendemain de la semaine qui ouvre le ministère de Jésus et qui se termine par le miracle de l’eau changé en vin à Cana, « le commencement des signes que Jésus accomplit » (Jn 2, 11). Et nous voici à présent au premier jour d’une autre semaine, la semaine de la nouvelle création.
La résurrection nous fait entrer dans une autre dimension de l’existence de Jésus, tout à la fois le même et différent. Il ne se reconnaît plus désormais qu’à travers certains signes révélateurs de sa divinité et de sa présence mystérieuse, signes qui suscitent ou sollicitent notre foi, à la suite du témoignage de ceux qui ont vu et cru. Que l’on pense aux disciples d’Emmaüs reconnaissant Jésus à la fraction du pain, ou à Marie de Magdala le reconnaissant seulement à la façon dont Jésus l’appelle. Jean vit et crut, et il témoigne avec force, insistant à plusieurs reprises sur la vérité de son témoignage, que ce soit au pied de la croix ou à la toute fin de son évangile. Ce faisant, il nous éveille à la foi et nous invite à mettre nos pas dans les pas du Seigneur Jésus et à courir à la suite du Ressuscité …