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Homélie du Cardinal Leonardo Sandri pour la Fête de S. Benoît

Homélie du Cardinal Leonardo Sandri pour la Fête de S. Benoît

Homélie du Cardinal Sandri,

Préfet de la Congrégation pour les Eglises Orientales

Solennité de Saint Benoît, Abbé et Patron de l’Europe

Abbaye de Chevetogne

Samedi 11 Juillet 2015

 

Monseigneur le Nonce Apostolique,

Excellences,

Très Révérend Père Abbé Philippe,

Chers moines

Frères et sœurs dans le Christ !

« Donc toi, - c'est-à-dire tout homme qui se presse vers la patrie du ciel -, pratique jusqu'au bout, avec l'aide du Christ, cette toute petite Règle écrite pour des débutants. Alors, avec la protection de Dieu, tu parviendras à ces sommets plus élevés d'enseignements et de vertus que nous venons de rappeler. Amen. »

         Par ces paroles, le saint père fondateur Saint Benoît de Nursie termine la règle qu’il a confié aux moines, qui, dès lors, comme en ce lieu, la conservent et avec la grâce de Dieu cherchent à l’observer. Invoquons donc son intercession pour qu’il veille sur cette abbaye, sur tout l’Ordre Bénédictin ; ensemble nous lui confions aussi le Saint Père, en visite dans quelques pays de l’Amérique Latine, et notre continent qui a, en Saint Benoît, l’un de ses patrons.

1.Tous ensembles devant Dieu, nous voulons nous interroger sur la qualité de notre suite du Christ et de notre façon d’être disciples. Le point de départ, en tant qu’image, est le « labyrinthe » reproduit sur le sol de l’atrium de cette église. C’est un rappel suggestif de la vie comme chemin : elle n’est pas dépourvue de passages tortueux et difficiles dans lesquels le pas est ralenti et ou l’âme est prise de doutes et de troubles. L’homme qui cherche Dieu, au contraire, reçoit de Lui une illumination intérieure, qui lui permet d’avancer, de découvrir et de goûter toujours plus, le Christ comme l’Origine, la Vie, le But de cet itinéraire. Les paroles de Saint Benoît que nous avons entendues le confirme: il nous parle d’un homme, du moine, qui n’est ni dispersé, ni vagabond, mais pèlerin avec un but qui détermine toute son existence, cheminant « avec zèle et ardeur » c’est-à-dire, plein de désir. En lui, se réalise ce qu’affirme le prophète Isaïe : « Les garçons se fatiguent, se lassent, et les jeunes gens ne cessent de trébucher, mais ceux qui mettent leur espérance dans le Seigneur trouvent des forces nouvelles ; ils déploient comme des ailes d’aigles, ils courent sans se lasser, ils marchent sans se fatiguer » (Is 40, 30-31). Remercions le Seigneur, parce qu’en ces quatre-vingt-dix ans de l’intuition fondatrice de Dom Lambert Beauduin, cette communauté a témoigné, jour après jour, de la beauté, de la possibilité et de la crédibilité de la vocation monastique selon la Règle de Saint Benoît, elle a été aussi et demeure une référence pour tous les hommes et les femmes de notre temps, qui cherchent Dieu, mais ne savent comment entreprendre le chemin.

2. Le livre des proverbes a énuméré une série d’actions : accueillir, conserver, tendre l’oreille, incliner le cœur, invoquer, rechercher, creuser, comprendre et trouver. Combien de « règles », combien d’actions, certes moins détaillées que la Règle dite de Saint Benoît à ses moines ! Le risque selon certains courants de pensée serait de tomber dans une forme de moralisme, en se liant exclusivement à l’observance extérieure de normes, ou alors à un activisme exaspéré qui recourrait au faire sans plus s’interroger sur son sens. Ce sont des défis lancés à l’humanité et aujourd’hui plus particulièrement à l’Europe, mais ils sont lancés plus surtout à ceux qui suivent le chemin de l’Evangile. Le moine, fils de Saint Benoît, en est bien conscient, mais il en connait le secret et le remède : il sait, comme le rappelle le Livre des Proverbes, que « c’est le Seigneur qui donne la sagesse ». Elle vient de Lui, c’est un don gratuit, mais elle suscite et implique la réponse de l’homme. Le don et la réponse sont données ensemble ; qui veut les séparer, et de cette façon nous sépare ultimement de Dieu, c’est le diable avec ses astuces et ses tentations. Saint Benoît sait bien qu’il y a une asymétrie entre ces deux dimensions : la grâce de Dieu vient en premier, parce qu’elle nous précède, elle fonde et rend possible nos actions. C’est pourquoi il affirme : «  nihil opere Dei anteponatur » (Règle XLIII, 3). Et l’opus Dei est certainement la prière liturgique et personnelle, mais en réalité, c’est toute la vie du moine qui l’exprime au quotidien. Bien plus, la vie des moines, ensembles, devient le lieu où se noue des dialogues avec le Seigneur et où chacun resplendit et se rend disponible dans la communauté des sauvés. Elle porte les signes décrits par Saint Paul dans la Lettre aux Ephésiens : « ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix » (Eph. 4, 2-3).  La communauté de Chevetogne, ainsi que les autres abbayes encore nombreuses en Belgique, ont un devoir particulier : prier et intercéder pour l’Europe, qui justement dans ce pays a le siège de quelques institutions importantes. Nous connaissons les difficultés qu’elle traverse : celles liées à la crise économique persistante, à la nécessaire solidarité entre les peuples, mais aussi celles relatives au scandale de l’accueil insuffisant de ceux qui frappent à la porte, surtout en provenance de pays en guerre ou connaissant des persécutions religieuses, ou bien encore incapable de trouver une politique extérieure commune pour être efficacement au service de la paix, en surmontant tout particularisme et intérêt partisan. Vous, moines, sachez, grâce à votre foi, rendre crédible Dieu dans ce monde qui n’est pas bien différent de celui dans lequel Saint Benoît vivait et murissait sa vocation. Proclamez, comme écrivait le Cardinal Ratzinger : « que nous avons besoin de racines pour survivre et que nous ne devons pas perdre de vue Dieu, si nous voulons que la dignité de l’homme ne disparaisse » et rappelez-vous- reprenant la citation- « que seulement à travers les hommes qui sont touchés par Dieu, Dieu peut faire retour auprès des hommes ».

3. L’église où nous nous trouvons pour célébrer l’Eucharistie a un signe particulier : la première pierre posée en 1981, provient du Mont-Sion à Jérusalem. Elle a une grande force évocatrice : être pierre nous rappelle le fondement qu’est le Christ, l’authentique pierre angulaire du temple saint de Dieu que nous sommes. C’est une pierre de Jérusalem, justement d’un mont qui concentre en lui-même le souvenir du passé – avec l’alliance conclue avec David et sa descendance et accomplie en Jésus-Christ- représente le cœur de l’Orient chrétien, et s’ouvre sur le futur comme lieu du banquet eschatologique annoncé par Isaïe (chap. 25).

Pour le moine, mais cela devrait être ainsi pour tout croyant, en Jésus-Christ se trouve l’unité profonde entre le passé, le présent et le futur de l’histoire personnelle et de l’humanité entière. C’est la force décrite dans les Béatitudes que nous venons d’entendre : on est bienheureux par une action que Dieu promet de faire dans le futur. Le moine est prophète du futur : il ne part pas du présent pour chercher à imaginer le futur, mais il part de lui, non pas celui que notre imagination peut inventer, mais celui garanti par la promesse de Dieu, qui lui permet d’affronter le présent, même s’il est marqué par les pleurs, la pauvreté, l’injustice ou la persécution. C’est la vie de la sagesse que parcourt « qui s’empresse vers la patrie céleste », en reprenant encore la Règle. La première pierre de cette église, donc, à travers ces rappels, exprime la vocation du Monastère de Chevetogne : c’est-à-dire, en suivant le chemin des saints pères, à commencer par Saint Basile et Saint Benoît, être une communauté tournée vers l’Orient, en un sens géographique et traditionnel, rendu présent par la communauté byzantine, avec sa liturgie, son chant, ses icônes, mais aussi son hospitalité offerte à tant de fils et de filles des Eglises Orthodoxes et Orthodoxes orientales, comme aussi par la contribution féconde de la rédaction de la Revue Irenikon. La garantie que le présent est illuminé par la prière de Jésus ut unum sint et par la promesse d’un futur réconcilié et confié au Christde l’abside, Celui qui vient, l’étoile resplendissante du matin (Ap. 22). Son retour, comme le dit l’Orientale Lumen du Saint Pape Jean-Paul II : « l'Église invoque, et le moine en est le témoin privilégié…l'attente eschatologique pousse les Eglises à être ce qu'elles ne sont pas encore en plénitude et que le Seigneur veut qu'elles deviennent, et donc à continuellement chercher de nouvelles voies de fidélité, vainquant le pessimisme, projetées qu'elles sont vers l'espérance de Dieu qui ne déçoit jamais. ». Chevetogne donc se présente comme un lieu où se vit la préfiguration de l’accomplissement de la promesse de Dieu.

4. Je vous confie la prière pour les Eglises Orientales Catholiques, qui depuis le Concile Vatican II ont reçu la tâche particulière d’être protagonistes du chemin œcuménique : le Seigneur écrit pour elles des pages dramatiques et lumineuses de persécutions et de martyrs, spécialement au Moyen-Orient. Avec nos frères, Elles vivent l’expérience du Christ souffrant : avec Elles, restons tous tendus vers l’Oriens ex alto qu’est le Christ, en invoquant l’intercession de Marie, la Toute Sainte Mère de Dieu, de Saint Benoît et tous les saints Pères et fondateurs d’Eglises. Amen.