En ce 1er avril, dire à un passant dans la rue que le Christ est ressuscité pourrait sembler relever de la plaisanterie et l’on pourrait s’entendre répondre « poisson d’avril ». Il en va tout autrement dans cette assemblée, mais permettez-moi de m’en assurer : le Christ est ressuscité !
Et maintenant, parlons du poisson ! Et tout d’abord de Jonas et de son poisson, de Jonas resté trois jours et trois nuits dans le ventre d’un grand poisson. Les chrétiens des premiers siècles y ont très vite vu une préfiguration du mystère pascal, du mystère de mort - résurrection du Christ. On le trouve représenté dans les catacombes. Il faut dire que Jésus les avait mis sur la piste en se référant au signe de Jonas. Aux scribes et aux pharisiens lui demandant un signe comme preuve de sa mission, il avait répondu qu’il ne leur serait pas donné d’autre signe que celui de Jonas. Allusion à son engloutissement dans la mort dont il sortirait victorieux pour manifester la miséricorde de Dieu envers l’humanité. Et de commenter lui-même : « En effet, comme Jonas est resté dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits, le Fils de l’homme restera de même au cœur de la terre trois jours et trois nuits. » (Mt 12, 40)
De façon peut-être moins symbolique et de dimension plus réduite, le poisson est aussi très présent dans les récits de résurrection. Quand, au soir du premier jour de la semaine, Jésus ressuscité apparaît à ses disciples et leur demande quelque chose à manger pour leur prouver la réalité de son corps, ‒ « un esprit n’a ni chair, ni os » (Lc 24, 39), ‒ ceux-ci lui présentent « un morceau de poisson grillé » (Lc 24, 42). Et lorsqu’il se manifeste pour la troisième fois à quelques-uns d’entre eux, sur les bords du lac de Tibériade, c’est lui-même qui leur donne du poisson qu’il a rôti sur la braise, ainsi que du pain (cfr Jn 21, 9. 13), rappel évident de la multiplication des pains … et des poissons (Jn 6, 1-15), et de tout ce dont elle est porteuse comme signe de la Nouvelle Alliance. Enfin, le contexte de ce déjeuner en bord de mer (la mer de Galilée) est celui d’une pêche miraculeuse. Le filet rempli de gros poissons est l’image même du Royaume de Dieu (Mt 13, 47-50) et de la mission confiée aux apôtres institués « pêcheurs d’hommes » (Mt 4, 19). L’abondance de poissons que l’on y trouve rappelle cette abondance de vin (à Cana, Jn 2, 6), de pain (en un lieu désert, Jn 6, 11sv), d’eau vive (au puits de Jacob avec la Samaritaine, Jn 4, 14) qui ponctue la vie et la prédication de Jésus comme autant de signes de sa mission qui est, non pas de juger le monde, mais de le sauver (Jn 3, 17) et de lui donner la vie en surabondance (Jn 10, 10) et l’Esprit sans mesure (Jn 3, 34). Or, c’est bien dans la résurrection du Christ que nous sont donnés et la vie et l’Esprit.
Vidi aquam, comme nous venons de chanter. « J’ai vu l’eau vive sortir du côté droit du Temple. » Allusion au prophète Ezéchiel qui a vu une eau abondante sortir du Temple de Jérusalem et se répandre jusqu’à la Mer Morte fécondant tout sur son passage et rendant poissonneuse à l’extrême cette mer où toute vie est impossible (Ez 47, 1-12). Désormais, c’est du côté du Christ, nouveau Temple rebâti en trois jours, que jaillit l’eau vive qui vient irriguer l’aridité de notre monde et de nos cœurs.
Le poisson est également un symbole chrétien par excellence, le mot grec ichtus qui le désigne étant composé des premières lettres du titre Iésoûs Khristòs Theoû Huiòs Sôtêr, « Jésus Christ Fils de Dieu, Sauveur » (comme on peut le voir sur la fresque de l’abside, le deuxième motif de la frise à votre droite). Lourd de sens, ce symbole, qui signifie à la fois le Christ et le chrétien, a très tôt servi comme signe de reconnaissance parmi les premières générations chrétiennes. Et s’il signifie autant le chrétien que le Christ, c’est parce que le baptême conforme le chrétien au Christ, en le plongeant dans le paschale sacramentum, le sacrement, le mystère de Pâques, passage de la mort à la vie, la vie de Dieu. « Nous avons donc été ensevelis avec le Christ par le baptême dans la mort, nous dit saint Paul, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle. Car si c'est un même être avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable » (Rm 6, 4-5). Nous en sommes là, si je puis dire, ressuscités avec le Christ, dans l’attente qu’il paraisse et libère en nous toutes les énergies de vie nouvelle, de vie divine qu’il y a déposées, et nous rende totalement semblables à lui. Alors « petits poissons », comme Tertullien, un auteur chrétien du IIe siècle, aimait à définir les baptisés, nageons dans le bonheur de ce jour de Pâques et de la vie nouvelle que le Ressuscité nous donne en surabondance !