(Galates 4, 4-7 ; Matthieu 2, 1-12)
« Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode … », nous dit l’évangéliste Matthieu (Mt 2, 1). Voici le décor planté et l’événement situé dans l’espace et dans le temps, en fait « la plénitude des temps » dans le dessein de Dieu, comme le précise S. Paul (Ga 4,4). Et aux bergers arrivés de nuit, succèdent les mages. Avec eux, l’horizon s’élargit. Alors que les bergers étaient de la même région (Lc 2, 8) et l’on pourrait dire de la même religion, les mages, eux, viennent d’Orient et sont d’une autre religion. L’évangéliste ne précise ni leur nombre ni leur rang. La tradition ou la légende y a vu trois rois de race différente, et les peintres les ont souvent représentés accompagnés d’une très nombreuse caravane qui n’a rien à envier à celle qui accompagnait la reine de Saba venue des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon (cfr 1 R 10, 1-10). Or, comme le dira un jour Jésus parlant de lui et louant l’attitude de la reine du Midi, « il y a ici plus que Salomon » (Mt 12, 42). Saluons au passage l’intuition des artistes et des poètes qui nous laissent entrevoir l’indicible.
« Il y a ici plus que Salomon », et nous sommes à Bethléem de Judée, la cité de David, le roi-pasteur. Ascendance royale du Messie que nous rappelle la généalogie qui ouvre l’évangile selon Matthieu. Les mages, quant à eux, arrivent d’abord à Jérusalem, capitale du royaume, chez le roi Hérode. En toute logique, si l’on peut dire, puisqu’ils cherchent « le roi des Juifs qui vient de naître » (Mt 2, 2). Comme on le voit, tout le contexte est royal. Rien d’étonnant dès lors que l’on ait fini par voir aussi dans les mages des rois. Hérode s’émeut, non point tant que les prophéties s’accomplissent, mais bien que ce nouveau-né ne se révèle, un jour, un rival politique. On sait ce qui en résultera : le massacre des innocents pour tous les enfants en dessous de deux ans (Mt 2, 16-18) et la fuite en Égypte pour Jésus (Mt 2, 13-15). Il n’en reviendra qu’après la mort d’Hérode (Mt 2, 19-23) et sera plus tard confronté à un autre Hérode qui, lui aussi, cherchera à le voir, mais ne l’en livrera pas moins à Pilate pour être crucifié (Lc 23, 8-12), ce Pilate qui donnera pour motif de sa condamnation : « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs » (Mt 27, 37 ; Jn 19, 19-22)). La boucle semble alors bouclée.
C’est que pour Jésus, l’émoi d’Hérode est aussi le début d’une méprise qui perdurera jusqu’à la croix et bien au-delà, et ne se dissipera pour ses disciples qu’après l’Ascension, quand ayant parcouru tous les Prophètes, en interprétant ce qui le concernait dans toutes les Écritures (Lc 24, 27), celui qui est descendu du ciel y remontera (Jn 3, 13) dans la chair transpercée et glorifiée qu’Emmanuel, Dieu-avec-nous, il est venu partager avec l’humanité errante et souffrante. Heureux les pauvres, le Royaume des cieux est à eux ! (Mt 5, 3)
Revenons aux mages. Ils ont vu se lever l’étoile du roi des Juifs qui venait de naître, et à la lueur de ce signe bien faible, qui plus est, n’était pas toujours visible, ils ont entrepris un voyage sans doute périlleux, mais, réjouis d’une très grande joie à la vue de l’étoile, ils ont persévéré jusqu’au moment où ils ont trouvé celui qu’ils cherchaient et voulaient honorer. Loin de s’émouvoir de la modestie du logis où ils l’ont trouvé avec Marie sa mère, ils se sont prosternés et lui ont rendu hommage en lui offrant de l’or, de l’encens et de la myrrhe. On sait la valeur symbolique attribuée à ces présents : la Royauté, la Divinité et la Passion du Christ. Il y a là comme une prophétie venue des nations. Les mages ne posent pas de questions, ils ne parlent pas, ils ne font pas montre de leur science, ils adorent en silence. Ils ont trouvé le Roi nouveau-né et son Royaume. Ils ont compris que ce Roi est doux et humble de cœur (Mt 11, 29) et que son Royaume n’est pas à la mesure de celui d’Hérode, des grands prêtres et des scribes. Ils ont aussi compris qu’après cela, plus rien ne serait comme avant, et ils s’en sont retournés dans leur pays par un autre chemin. Jésus a-t-il seulement trouvé une telle foi en Israël ? Et trouve-t-il encore une telle foi en nous aujourd’hui ?
Sommes-nous seulement prêts nous qui avons reçu l’adoption filiale que le Fils unique nous a conférée (Ga 4, 5), à nous lever au moindre petit signe discerné dans la création, à l’éveil d’une étoile comme les mages, au souffle d’une brise légère comme le prophète Élie (1 R 19, 13), à une parole venue de Dieu comme Abraham (Gn 12, 1), et à nous mettre en route vers la terre de la promesse, ce lieu où vient de naître « pour nous les hommes et pour notre salut », comme le dit le credo, cet enfant dont la fragilité fait trembler les puissants de la terre ? Sommes-nous seulement prêts à écouter, avec un cœur disponible, la Parole de Dieu, le Verbe fait chair ? Sommes-nous seulement prêts à quitter les sentiers battus de nos connaissances et de nos certitudes, de notre pouvoir aussi, cette tyrannie que l’on exerce si facilement, et presque à notre insu, sur les choses et sur les êtres, pour nous en retourner par un autre chemin et courir l’aventure de la foi, croire qu’aujourd’hui un Sauveur nous est né ?