Comme nous l’avons entendu, l’Ascension de notre Seigneur Jésus Christ fait l’objet d’un double récit de l’évangéliste Luc. Il en donne une version brève à la fin de son évangile (Lc 24. 50-53) et une version longue au début des Actes des Apôtres (Ac 1.1-11).
Celle-ci retient peut-être davantage notre attention parce qu’elle nous fournit quelques détails sur les relations de Jésus avec ses disciples après la résurrection. Il n’est pas constamment avec eux, du moins physiquement, mais il vient les entretenir du Royaume de Dieu, de leur mission, du témoignage qu’ils auront à porter et les introduit petit à petit à un autre mode de relation avec lui. Il les prépare à une absence physique définitive à laquelle suppléera la venue de l’Esprit Saint qui le rendra présent d’une autre manière. D’une façon plus générale, cela nous introduit au mode de connaissance que nous avons de Jésus, au mode de connaissance qui est le nôtre aujourd’hui, à nous qui sommes heureux de croire sans avoir vu, pour reprendre les paroles de Jésus à l’apôtre Thomas, précisément au cours de ces 40 jours entre la Résurrection et l’Ascension (Jn 20.29).
On peut imaginer assez facilement ce en quoi consistent ces entretiens de Jésus avec ses disciples. La trame nous en est en quelque sorte fournie par le long discours de Jésus après la Cène, au soir du Jeudi Saint, qui occupe les chapitres 14 à 17 de l’évangile de Jean. On voit ici combien les évangiles apportent des éclairages complémentaires sur la vie de Jésus.
Dans ce discours, ‒ qui n’est d’ailleurs pas un monologue, les disciples intervenant çà et là, pour faire part de leur incompréhension, ‒ il est de fait successivement question de départ et de retour, de tristesse et de joie, de trouble et de réconfort, de doute et de foi, de connaissance du Père, d’union au Christ, de venue de l’Esprit, de témoignage à porter, et du commandement nouveau de l’amour qui consiste à ce que les disciples s’aiment les uns les autres comme, ‒ je dis bien comme, car tout est là, ‒ comme Jésus les a aimés.
Il s’agit là de tous éléments constitutifs de l’enseignement de Jésus et du Royaume de Dieu qui en est l’objet, récapitulés juste avant sa passion et repris après sa résurrection, et précisément à la lumière de la résurrection. Avec les apôtres, ‒ et sans doute avec nous aussi, ‒ une répétition n’est jamais de trop puisque, comme on le voit encore ici, jusqu’au bout ils s’obstinent à attendre une restauration politique du royaume d’Israël. Il faudra vraiment la venue de l’Esprit pour les libérer d’une telle conception et les conduire à la vérité tout entière, une vérité qui dépouille des idées préconçues. Le Royaume de Dieu est d’un autre ordre et ne se mesure pas à l’aune des puissants de ce monde.
Les deux scènes, ‒ celle du Jeudi Saint et celle du Jeudi de l’Ascension, ‒ qui précédent toutes deux une séparation, ne manquent pas de ressemblance. Jésus prend un repas, un dernier repas, avec ses disciples, puis les emmène au Mont des Oliviers … Il s’entretient avec eux et ensuite il leur est enlevé, une première fois pour être élevé en croix, et une seconde fois pour être élevé au ciel. C’est dans la chair qu’il a assumée en naissant de la Vierge Marie qu’il est crucifié, ressuscité et finalement élevé au ciel. Le Mystère est un ! Pas de Résurrection et d’Ascension s’il n’y a pas d’abord d’Incarnation ! C’est le Verbe fait chair, le Fils de Dieu fait homme qui donne sa vie pour le salut du monde et qui, ressuscité des morts, voit son humanité meurtrie, et avec elle toute humanité meurtrie, rendue à sa dignité première et placée auprès de Dieu. C’est le Fils de Dieu fait homme qui, sous les espèces du pain et du vin, donne sa chair à manger et son sang à boire pour que nous ayons la vie éternelle. Ce pain et ce vin que nous partageons en faisant mémoire de lui, nous le rendent toujours présent. Comme les disciples d’Emmaüs, ‒ et c’est encore l’évangéliste Luc qui nous en fait le récit, ‒ dont Jésus a ouvert l’esprit à l’intelligence des Écritures (comme aux autres disciples d’ailleurs), ont reconnu le Seigneur ressuscité à la fraction du pain, ainsi nous est-il aussi donné de le reconnaître et de le recevoir. La Parole et le Pain nous sont encore donnés aujourd’hui comme moyens privilégiés, mais pas uniques, de rester à son écoute et de lui être étroitement unis. Si étroitement unis que nous devenons membres de son propre corps. Dès lors, la Résurrection de Jésus est notre Résurrection et l’Ascension de Jésus est notre Ascension. « Quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, dit saint Paul dans sa lettre aux Colossiens, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire. » (Col 3.4)
Le double récit de Luc s’achève d’une part dans la joie et la louange, et d’autre part, sur la promesse d’un retour. En fait, il s’ouvre sur l’attente, une attente habitée par l’annonce de la bonne nouvelle, une attente qui, nous le savons, ne sera pas déçue !